Preuve de l’étendue des missions confiées à l’architecte : le caractère dérisoire de la rémunération forfaitaire est impropre à exclure une mission donnée (C.Cass., Civ. 3ème, 15 Juin 2022, n° 21-13612)

Les architectes et les maîtres d’œuvre peuvent se voir confier des missions de maîtrise d’œuvre, à l’exception notable que seuls les architectes peuvent exercer les missions à l’article 3 de la Loi n°77-2 du 3 Janvier 1977 sur l’Architecture, à savoir la mission « DPC » :

« Quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire doit faire appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l’objet de la demande de permis de construire, sans préjudice du recours à d’autres personnes participant, soit individuellement, soit en équipe, à la conception. Cette obligation n’exclut pas le recours à un architecte pour des missions plus étendues »

A l’exception de la mission DPC, le maître d’ouvrage peut décider de confier une mission complète à un maître d’œuvre, ou seulement une mission partielle, en choisissant parmi les missions suivantes (missions classiques de maîtrise d’œuvre) :

  • PRE : Etudes Préliminaires
  • APS : Avant Projet Sommaire
  • APD : Avant Projet Définitif
  • DPC : Dossier de demande de Permis de Construire
  • PCG : Projet de Conception Général
  • DCE : Dossier de Consultation des Entreprises
  • MDT : Mise au point Des marchés de Travaux
  • VISA : Visa des études d’exécutions
  • DET : Direction de l’exécution des contrats de Travaux
  • AOR : Assistance aux Opérations de Réception de Travaux
  • DOE : Dossier des Ouvrages Exécutés

L’étendue des missions confiées influe sur la responsabilité potentielle de l’Architecte puisqu’il faudra rechercher si le désordre est imputable à l’une des missions confiées (C.Cass., Civ. 3ème, 26 Novembre 2015, n° 14-28394), même si la Cour de cassation a pu retenir une conception extensive de certaines missions, en retenant la responsabilité décennale de l’architecte chargé uniquement d’une mission PC pour un désordre de soulèvement du sol et des fissures sur le dallage, car devant proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Novembre 2019, n° 16-23509).

Si la rédaction d’un écrit n’est pas obligatoire pour l’intervention d’un architecte puisque la preuve de ce contrat peut être rapportée par tout moyen (C.Cass., Civ. 3ème, 13 Avril 2005, n° 03-18841), l’architecte sera bien inspiré se montrant prudent en régularisant un contrat car pèse sur lui l’obligation de rapporter la preuve de la mission qui lui a été confiée (C.Cass., Civ. 3ème, 6 Septembre 2018, n°17-21329), risquant ainsi de voir sa responsabilité recherchée au titre d’une mission complète de maîtrise d’œuvre alors qu’il n’aurait réalisé qu’une mission partielle (et facturé en conséquence).

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a déjà pu indiquer que le caractère bénévole de l’intervention d’un architecte n’est pas de nature à diminuer sa responsabilité (C.Cass., Civ. 3ème, 20 Juin 1972, n° 71-11802) dès lors que le désordre lui est imputable (C.Cass., Civ.3ème, 3 Juillet 1996, n°94-16827).

Par son arrêt du 15 Juin 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 15 Juin 2022, n° 21-13612), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient souligner que le caractère dérisoire de la rémunération de l’architecte ne peut suffire à renverser la charge de la preuve pesant sur celui-ci.

En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :

  • [N] a confié à M. [P] (Architecte), assuré auprès de la MAF, des missions de maîtrise d’œuvre de travaux d’aménagement d’une maison.
  • L’exécution des travaux a été confiée à la société Europe construct, assurée auprès de la société Axa France IARD
  • Après l’abandon du chantier par la société Europe construct, M. [N] a assigné les constructeurs et leurs assureurs aux fins d’indemnisation des préjudices résultant de l’inachèvement de l’ouvrage, de malfaçons et de trop-versés.

Par un arrêt en date du 7 Décembre 2020, la Cour d’appel d’AGEN a notamment rejeté les demandes formées contre l’architecte et son assureur à l’exception de celles formées au titre des désordres de la charpente, aux motifs que

  • l’expert judiciaire n’a pas manqué de relever que les honoraires perçus par l’architecte étaient sans rapport avec les usages de la profession pour une mission complète, qui se situent entre 8 à 12 % du marché alors que la rémunération de M. [P] représentait 1,8 % du marché
  • après sa mission initiale non contestée mais qui n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité en l’espèce, le rôle de l’architecte s’est limité à assister tous les quinze jours aux réunions de chantier pour lesquelles il recevait une rémunération forfaitaire de 240 euros hors taxes, somme qui eût été dérisoire s’il avait été investi d’une mission complète, laquelle n’est établie par aucun document.

Le maître d’ouvrage a formé un pourvoi.

Sous le visa des articles 455 du code de procédure civile et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation rappelle que :

  • Selon le premier de ces textes, tout jugement doit être motivé. Il en résulte que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis, sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties.
  • Selon le second, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Avant de censurer la Cour d’appel, lui reprochant d’avoir rejeté les demandes du maître d’ouvrage

  • sans analyser, même sommairement, les éléments de preuve produits par M. [N] pour justifier de l’extension des missions de l’architecte à la direction de l’exécution des travaux et au contrôle de la facturation de l’entreprise
  • par des motifs impropres à exclure de telles missions.

La rémunération dérisoire, comme l’absence de rémunération, ne sont pas des motifs pertinents pour écarter l’intervention d’un maître d’œuvre sur une mission déterminée. Il est donc recommandé de formaliser chaque mission dans un contrat, au moyen notamment du contrat proposé par le site du Conseil National de l’Ordre des Architectes.

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