L’effet interruptif attaché à une assignation ne valant que pour les désordres qui y sont expressément désignés, la demande en justice d’extension d’une mesure d’expertise à d’autres désordres est dépourvue d’effet interruptif de prescription ou de forclusion sur l’action en réparation des désordres visés par la mesure d’expertise initiale (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mai 2024, n°22-23004)

La maîtrise des délais reste un élément toujours aussi important dans la conduite d’une procédure. Chaque partie doit veiller à interrompre ou suspendre ses délais en temps utile pour préserver ses intérêts, dès le stade de l’expertise judiciaire.

L’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 2 Mai 2024 (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mai 2024, n°22-23004) constitue un rappel fort utile, et amène à s’interroger sur la portée d’une demande d’extension d’expertise judiciaire à l’examen de nouveaux désordres : l’assignation délivrée, aux fins d’extension, a-t-elle un nouvel effet interruptif ou suspensif à l’égard des désordres dénoncés initialement ?

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a l’occasion de confirmer sa jurisprudence et de donner un rappel utile.

Il avait déjà été indiqué que :

  • Pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire (, Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
  • La suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale (, Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
  • L’assignation délivrée contre un assureur en une qualité donnée ne vaut pas contre ce même assureur sous une autre qualité : assigner un assureur en qualité d’assureur DO ne vaut pas assignation (et donc interruption) en sa qualité d’assureur RCD (en ce sens : , Civ. 3ème, 29 Mars 2018, pourvoi n° 17-15042)
  • La demande d’expertise en référé sur les causes et conséquences des désordres et malfaçons ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat de construction, de sorte que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas suspendu la prescription de l’action en annulation du contrat (Cass., Civ. 3ème, 17 Octobre 2019, n° 18-19611 et 18-20550).
  • l’assignation en référé aux fins d’extension n’a pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne vaut que son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771)
  • Une assignation en justice ne peut interrompre la prescription qu’en ce qui concerne le droit que son auteur entend exercer. Elle ne peut, dès lors, interrompre la prescription de l’action en réparation de désordres qui n’y sont pas mentionnés (Cass., Civ. 3ème, 8 Février 2023, n°21-14708)

Plus précisément, sur le sujet de la portée d’une assignation aux fins d’extension, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a déjà pu indiquer que l’assignation en référé aux fins d’extension des opérations d’expertise à une nouvelle partie n’a pas d’effet erga omnes et ne bénéficie donc pas au demandeur initial (C.Cass., Civ. 3ème, 25 mai 2022, n° 19-20563).

Dans l’arrêt du 2 Mai 2024, les données factuelles et procédurales étaient les suivantes :

  • la société Pinchinats a fait édifier un groupe d’immeubles sous la maîtrise d’œuvre de MM. [S] et [O], assurés auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).
  • Les travaux de construction ont été confiés à la société SUPAE, aux droits de laquelle vient la société Eiffage
  • La réception est intervenue le 12 juillet 1995.
  • Se plaignant de désordres, la société IMEFA33, à laquelle la société Pinchinats avait vendu des lots, a assigné celle-ci et la société SUPAE en référé aux fins d’expertise.
  • L’expertise, ordonnée le 25 juin 1997, portant notamment sur des désordres se manifestant par des décollements généralisés des peintures, a été ultérieurement rendue commune à MM. [S] et [O] ainsi qu’à la MAF.
  • Sur assignation de la société SUPAE, par arrêt du 5 mai 2000, la mission de l’expert a été étendue à l’examen de dommages ayant affecté les « nourrices » installées par le titulaire du lot plomberie.

 

  • Les 22, 23, 26, 30 septembre et 1er octobre 2005, la société Imefa 33 a assigné l’ensemble des intervenants aux fins d’indemnisation de ses préjudices.
  • Ces assignations ayant été annulées, elle a à nouveau assigné les intervenants en réparation par acte du 18 mai 2009.

Par un arrêt en date du 26 Septembre 2022, rendu sur renvoi après cassation (C.Cass., Civ. 3èùe, 18 Mars 2021, n°20-13993), la Cour d’appel de VERSAILLES a notamment déclaré irrecevables les demandes de la Société Imefa 33 contre les sociétés Pinchinats, Eiffage, MAF et MM. [S] et [O] relativement aux désordres tenant aux décollements généralisés des peintures intérieures.

La Société Imefa 33 a formé un pourvoi

  • soutenant que les demandes en justice formées par voie de conclusions, dans le cadre d’une instance ayant pour objet l’extension d’une mesure d’expertise judiciaire à de nouveaux désordres, interrompent la prescription et la forclusion, à l’égard des parties à l’instance auxquelles ces conclusions sont notifiées, pour les droits concernés, c’est-à-dire aussi bien ceux ayant trait aux désordres auxquels l’extension de la mesure d’expertise judiciaire est demandée que ceux ayant trait aux désordres sur laquelle porte la mesure d’expertise judiciaire initiale
  • reprochant à la Cour d’appel une violation de l’article 2244 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, qui sont applicables à la cause.

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence et rejette le pourvoi

  • en rappelant que l’effet interruptif attaché à une assignation ne vaut que pour les désordres qui y sont expressément désignés, visant plusieurs de ses précédentes décisions (Cass., Civ. 3ème, 31 Mai 1989, n°87-16389 ; C.Cass., Civ. 3ème, 20 Mai 1998, n°95-20870).
  • Expliquant que cette exigence d’identification des désordres, qui détermine le cours de la prescription de l’acte dirigé contre celui que l’on veut empêcher de prescrire, est destinée à assurer la sécurité juridique des parties en litige.
  • Précisant que la demande en justice aux fins d’extension d’une mesure d’expertise à d’autres désordres est dépourvue d’effet interruptif de prescription ou de forclusion sur l’action en réparation des désordres visés par la mesure d’expertise initiale.
  • Concluant que le moyen du pourvoi, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé.

Une fois l’assignation en référé expertise introduite, il est donc important de surveiller l’écoulement des délais et d’envisager une assignation au fond avec, le cas échéant, une demande de sursis à statuer. Et il est tout aussi important de bien veiller au libellé du désordre dénoncé.

Enfin, il convient de rappeler que pour les procédures introduites postérieurement au 1er Janvier 2020, la prescription et la forclusion doivent être soulevées devant le Juge de la mise en état, par conclusions d’incident, avant toute défense au fond, sauf si ces exceptions ne surviennent ou ne soient révélées postérieurement au dessaisissement du Juge de la mise en état, conformément à l’article 789 du Code de procédure civile.

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