La présomption de responsabilité de l’article 1792 du code civil suppose que soit établi un lien d’imputabilité entre le dommage constaté et l’activité du locateur d’ouvrage, sauf la faculté pour celui-ci de s’en exonérer en établissant la preuve d’une cause étrangère : responsabilité du constructeur chargé de réaliser l’installation photovoltaïque, même si la destruction de l’ouvrage et la dispersion des composants ne permettaient pas de déterminer le processus ayant conduit au sinistre / à défaut de concomitance entre les paiements et la quittance subrogative, les conditions de mise en œuvre de la subrogation conventionnelle n’étaient pas réunies (C.Cass., Civ. 3ème, 29 juin 2022, n°21-17919)

1/ Malgré des moyens d’investigations poussés et importants, il n’est pas toujours possible pour autant de déterminer la cause précise de l’incendie. Cela prive t’il pour autant le maître d’ouvrage lésé de tout recours ? La Cour de cassation a l’occasion de répondre de nouveau par la négative et de confirmer sa jurisprudence, mettant en exergue l’avantage procurée par le régime de la responsabilité décennale.

La responsabilité décennale édictée par les articles 1792 et suivants du Code civil est un régime juridique favorable au maître d’ouvrage en ce sens qu’il dispense celui-ci de rapporter la preuve d’une faute d’un constructeur.

Ce régime ne dispense pas pour autant le demandeur à l’instance de rapporter la preuve de l’imputabilité. Celle-ci peut se définir comme le lien entre l’action (ou inaction) d’un constructeur et le désordre affectant l’ouvrage.

La Cour de cassation impose aux Juridictions du fond de rechercher cette imputabilité pour se fonder sur l’article 1792 du Code civil (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 14 janvier 2009, pourvoi n° 07-19084 ;  (C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16725).

L’imputabilité est une question majeure qui doit être appréhendée dès le stade de l’expertise judicaire, tant pour des travaux neufs que la réalisation d’ouvrage nouveau sur les existants.

Une fois l’imputabilité, le constructeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de l’absence de faute commise. Seule la preuve d’un évènement de force majeure (évènement extérieur, imprévisible et irrésistible), ou de ce que le sinistre n’est pas imputable à son ouvrage, peut lui permettre d’échapper à toute responsabilité.

Encore en 2021, en matière d’incendie, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation avait pu rappeler qu’un cause indéterminée est insuffisante pour caractériser l’existence d’une cause étrangère en présence d’un incendie d’origine électrique ayant pris naissance dans les combles où des travaux avaient été réalisés (C.Cass., Civ. 3ème, 28 Janvier 2021, n° 19-22794).

Tel était le cas de figure dans l’arrêt du 29 Juin 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 29 juin 2022, n°21-17919).

Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir

  • la société Solage, constituée par les associés du groupement foncier agricole La Pouyade (le GFA), a, en qualité de maître de l’ouvrage, confié à la société Inovasol, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société SMA, des travaux d’installation de capteurs photovoltaïques sur deux bâtiments d’exploitation agricole appartenant au GFA, assurés auprès de la caisse régionale d’assurance mutuelle agricole Centre Atlantique-Groupama Centre Atlantique (la société Groupama).
  • La société Inovasol a sous-traité la pose des panneaux solaires à la société Le Guelvel, assurée en responsabilité civile auprès de la SMABTP et en responsabilité décennale auprès de la société SMA, puis de la société Axa France IARD (la société Axa), et les travaux d’installation électrique à la société Morellec, assurée auprès de la société Axa, puis de la SMABTP.
  • Un procès-verbal de réception sans réserve a été établi le 28 janvier 2011.
  • Le 19 septembre 2012, un incendie a détruit les deux bâtiments qui supportaient les installations.
  • Par protocole transactionnel du 24 janvier 2014, la société Groupama s’est engagée à indemniser la société Solage et le GFA de leurs préjudices matériels et de perte d’exploitation.
  • La société Solage et le GFA ont, après expertise, assigné les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs en réparation.
  • La société Groupama est intervenue volontairement à l’instance pour exercer ses recours au titre des indemnités versées à ses assurés.

Par un arrêt en date du 1er Avril 2021, la Cour d’appel de BORDEAUX a notamment condamné la SMA SA une somme au titre des travaux réparatoires, au motif que l’incendie avait trouvé son siège dans l’installation photovoltaïque, alors que l’Expert judiciaire n’avait pu déterminer le processus ayant conduit à l’embrasement.

La SMA SA a formé un pourvoi, reprochant à l’arrêt d’avoir retenu un lien entre l’incendie et le vice affectant l’installation photovoltaïque alors que la cause de l’incendie restait inconnue.

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir

  • Enoncé que « la présomption de responsabilité de l’article 1792 du code civil suppose que soit établi un lien d’imputabilité entre le dommage constaté et l’activité du locateur d’ouvrage, sauf la faculté pour celui-ci de s’en exonérer en établissant la preuve d’une cause étrangère« 
  • « souverainement retenu que l’incendie qui avait détruit les bâtiments avait trouvé son origine dans l’installation photovoltaïque que la société Inovasol avait été chargée de réaliser, même si la destruction de l’ouvrage et la dispersion des composants ne permettaient pas de déterminer le processus ayant conduit au sinistre« 
  • Déduit que « en l’absence de cause étrangère établie, la responsabilité décennale de l’assurée de la société SMA se trouvait engagée et condamner, en conséquence, celle-ci à garantie« .

Dès lors, le fait que l’origine de l’incendie soit indéterminée est inopérante. La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence au sujet de l’origine indéterminée du sinistre :

Seule la preuve d’un évènement extérieur à l’origine du sinistre permet au constructeur de s’exonérer de sa responsabilité décennale (C.Cass., Civ. 3ème, 4 juillet 2007, n°06-14761).

Seule compte l’imputabilité, ce qui implique par contre, lors des opérations d’expertise, de localiser le départ de l’incendie pour débattre de l’imputabilité. En effet, faute d’imputabilité, il ne peut y avoir de responsabilité décennale (C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 14 janvier 2009, pourvoi n° 07-19084 ; C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16725).

De même, la faute de la victime n’a pas un effet exonératoire, sauf à présenter les caractéristiques de la force majeure, mais permet uniquement de réduire le droit à indemnisation, notamment lorsqu’avaient été stockés des produits inflammables, source d’aggravation des conséquences de l’incendie (C.Cass., Civ. 2ème, 20 juin 2002, n°00-11128 C.Cass., Civ. 2ème, 11 Janvier 2001 ; n° 98-22690)

 

2/ Cet arrêt est également l’occasion de revenir sur les conditions de mises en œuvre de la subrogation conventionnelle, et en particulier de la concomitance du paiement et de la quittance.

Classiquement, un assureur ayant indemnisé son assuré se trouve subrogé dans les droits de celui-ci :

  • Soit par le biais de la subrogation légale, en vertu de l’article L. 121-1 du Code des assurances, dès lors que l’assureur a réglé l’indemnité contractuellement due (ce qui exclut le geste commercial : Cass., Civ. 1ère, 23 mars 1999, n°97-11685 ; ainsi que le recours pour un paiement indu : C.Cass., Civ. 2ème, 10 décembre 2015, n°14-27202)
  • Soit par le biais de la subrogation conventionnelle, qui peut intervenir en l’absence de subrogation légale, sur le fondement de l’article 1250 ancien du Code civil, et désormais l’article 1346-1 du Code civil : « la subrogation conventionnelle de l’assureur dans les droits de l’assuré résulte de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l’assureur, qui n’a pas à établir que ce règlement a été fait en exécution de son obligation contractuelle de garantie » (Cass.,Com., 16 juin 2009, 07-16840) ; « la subrogation conventionnelle de l’assureur dans les droits de l’assuré résulte de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l’assureur » (C.Cass., Com., 21 février 2012, 11-11145).Cela permet de contourner la subrogation légale lorsque celle-ci n’est pas mobilisable.

Une fois subrogé, l’assureur se retrouve dans les droits et action de son assuré pour se retourner contre le tiers responsable : même fondements juridiques, mêmes moyens de défense, dont la prescription (C.Cass., Civ. 3ème, 21 septembre 2011, 10-20543).

La subrogation conventionnelle implique la volonté expresse l’assurée, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l’assureur (en ce sens : C.Cass., Com., 21 Février 2012, n° 11-11145).

L’article 1346-1 du Code civil énonce ainsi :

« La subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.

Cette subrogation doit être expresse.

Elle doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens »

A plusieurs reprises la Cour de cassation a rappelé l’exigence de la concomitance (C.Cass., Civ. 2ème, 8 Février 2006, n° 04-18379), dont la preuve incombe au subrogé (C.Cass., Civ. 1ère, 12 Juillet 2006, n° 04-16916).

La subrogation postérieure au paiement n’est donc, en principe, pas possible, sauf à considérer que la quittance subrogative soit formalisée postérieurement, seul comptant la volonté de subroger au moment du paiement, preuve ô combien difficile de rapporter, les juges du fond ayant toute latitude pour apprécier cette volonté, ce que l’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient de rappeler dans son arrêt du 29 Juin 2022.

La prudence invite donc à réaliser le paiement en même temps que la ratification d’une quittance subrogative, la Cour de cassation ayant pu rejeter la subrogation concernant un  acte de subrogation rédigé un an après une quittance de règlement indiquant que une subrogation, la Cour de cassation rejetant une « condition de concomitance » qui aurait été convenue d’avance.

Il est par contre possible que l’acte de subrogation soit antérieur au paiement, conformément au 3ème alinéa de l’article 1346-1 du Code civil, tiré de la réformé de la réforme de l’Ordonnance du 10 Février 2016, consacrant une jurisprudence antérieure (C.Cass., Civ. 2ème, 3 Juin 2010, n° 09-16029 ; C.Cass., Civ. 1ère, 28 Mai 2002, n° 99-17733). Mais alors la subrogation ne produira effet qu’au moment du paiement, ce qui doit être surveillé dans l’hypothèse où le subrogé a engagé une action en justice contre le responsable, sa qualité pour agir étant apprécié au moment où le Juge statue.

En l’espèce, dans l’arrêt du 29 Juin 2022, la Cour d’appel de BORDEAUX a déclaré irrecevable l’intervention volontaire de GROUPAMA en écartant toute concomitance entre les paiements opérés par Groupama Centre-Atlantique et la subrogation, au regard de la seule quittance subrogative émise le 1er novembre 2014.

La Compagnie GROUPAMA a formé un pourvoi, reprochant à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si le protocole d’accord passé le 24 janvier 2014, antérieurement aux règlements opérés par l’assureur, ne prévoyait pas une telle subrogation au profit de Groupama Centre-Atlantique, et invoquant dès lors une violation de l’ancien article 1250 du Code civil.

Le pourvoi est rejeté par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation qui approuve la Cour d’appel :

« La cour d’appel, devant laquelle la société Groupama ne se prévalait pas d’une subrogation résultant du protocole d’accord du 24 janvier 2014, a relevé qu’il ressortait de la quittance subrogative établie le 1er novembre 2014, seule invoquée, que les règlements d’indemnités étaient intervenus du 24 janvier 2013 au 13 octobre 2014, pour le plus tardif.

Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, qu’à défaut de concomitance entre les paiements et la quittance subrogative, les conditions de mise en œuvre de la subrogation conventionnelle n’étaient pas réunies.

 Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision »

Pèse donc sur l’assureur qui a réglé la charge d’une preuve difficile à rapporter, incitant à la prudence.

 

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