Rappel important sur la notion d’ayants droit au titre de la solidarité nationale au sens du II de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (CE, 24 Juillet 2019, requête n° 422934)

La Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, avec son article 114, a introduit une modification au II de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, lui-même issu de la récente loi du 4 Mars 2002, en insérant la mention suivante : « et, en cas de décès, de ses ayants droit ».

Cette mention était importante car elle ouvrait aux ayants-droit d’un patient décédé les portes de l’indemnisation par la solidarité nationale.

Par un arrêt de section du 3 Juin 2019 (CE, Sect., 3 Juin 2019, 414098), le Conseil d’Etat a pris une position importante en estimant que :

  • « En prévoyant, depuis la loi du 9 août 2004, l’indemnisation au titre de la solidarité nationale des ayants droit d’une personne décédée en raison d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale, les dispositions précitées ouvrent un droit à réparation aux proches de la victime, qu’ils aient ou non la qualité d’héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu’ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain » : il s’agit du préjudice d’affection qui est propre au demandeur
  • « Par ailleurs, lorsque la victime a subi avant son décès, en raison de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale, des préjudices pour lesquels elle n’a pas bénéficié d’une indemnisation, les droits qu’elle tirait des dispositions précitées sont transmis à ses héritiers en application des règles du droit successoral résultant du code civil » : ce préjudice sera indemnisé par la voie de la dévolution successorale.

A donc été reconnu un droit à réparation aux proches de la victime, déconnecté de la qualité d’héritiers, supposant uniquement la preuve de liens étroits avec la cette dernière.

Par son arrêt du 24 Juillet 2019 (CE, 24 Juillet 2019, n°422934), le Conseil d’Etat confirme cette jurisprudence.

En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que

  • I…J…, alors âgé de 61 ans, a été pris en charge par les Hôpitaux civils de Colmar à compter du 17 août 2011 pour le traitement de douleurs abdominales
  • Une cholécystite lithiasique ayant été diagnostiquée, il a subi le 20 août 2011 une intervention chirurgicale en vue de l’ablation de la vésicule biliaire.
  • Victime d’un arrêt cardio-circulatoire au cours de l’opération, à l’origine d’une encéphalopathie anoxique, il est resté atteint d’une paraplégie limitant ses capacités à un état pauci-relationnel.
  • J…est décédé le 20 octobre 2012.
  • Son épouse, Mme H…J…, ses fils, MM. D…et F…J…, ses petits-fils, A…et Diégo J…et sa soeur, Mme E…G…, ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande tendant à la réparation des préjudices ayant résulté de l’accident médical dont il avait été victime.

Par un jugement du 4 octobre 2016, le Tribunal administratif a :

  • mis à la charge de l’ONIAM la somme de 65 000 euros à verser aux consorts J…en leur qualité d’héritiers de M. I…J…, au titre des préjudices que ce dernier avait subis avant son décès, et, sous déduction des sommes déjà versées à titre de provision, la somme de 29 717,17 euros à verser à Mme H…J…et la somme de 6 500 euros chacun à verser à MM. D…et F…J…au titre de leurs préjudices propres
  • en revanche rejeté les conclusions présentées par les petits-fils et la sœur du défunt au titre de leurs préjudices propres.

Par un arrêt du 5 juin 2018, sur appel des Consorts J., la Cour administrative d’appel de Nancy a :

  • porté à 41 335,65 euros, 18 398,22 euros et 16 191,73 euros les sommes mises à la charge de l’ONIAM au titre des préjudices subis respectivement par Mme H…J…, M. F…J…et M. D… J…
  • rejeté le surplus de leurs conclusions et donc les demandes présentées par les petits-enfants et la sœur au titre de leur préjudice d’affection, en retenant notamment que faute de posséder la qualité d’héritiers ou de légataires de la victime, ils ne pouvaient être regardés comme ses ayants droit au sens des dispositions du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.

Les consorts J…ont formé un pourvoi contre cet arrêt.

Le Conseil d’Etat va reprendre son considérant de principe au sujet de la qualité de « proches de la victime », déconnecté de la notion d’héritiers :

« En prévoyant, depuis la loi du 9 août 2004, l’indemnisation au titre de la solidarité nationale des ayants droit d’une personne décédée en raison d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale, les dispositions précitées ouvrent un droit à réparation aux proches de la victime, qu’ils aient ou non la qualité d’héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu’ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain. Par ailleurs, lorsque la victime a subi avant son décès, en raison de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale, des préjudices pour lesquels elle n’a pas bénéficié d’une indemnisation, les droits qu’elle tirait des dispositions précitées sont transmis à ses héritiers en application des règles du droit successoral résultant du code civil »

La Cour administrative d’appel de NANCY est censurée pour avoir commis une erreur de droit et l’affaire renvoyée devant cette Juridiction pour liquidation de ce poste de préjudice.

La solution est dégagée est logique au regard des règles applicables en droit du dommage corporel depuis de nombreuses années. Elle implique cependant un travail probatoire préalable puisque classiquement, si les liens de filiation et de parenté immédiats donnent une présomption de préjudice moral, il en va différemment en l’absence de tels liens. Cela vaut pour les liens d’amitié.

Il sera donc important pour les demandeurs à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale de rapporter la preuve d’une proximité avec la victime avant son décès, et de l’existence de liens entretenus avec celle-ci.

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