Dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété (CE, 14 Juin 2019, n°414458)

La dualité juridictionnelle présente dans le système juridique français doit conduire le demandeur à l’action à faire preuve de vigilance concernant la détermination du Tribunal compétent.

Par un arrêt du 14 Juin 2019 (CE, 14 Juin 2019, n° 414458), le Conseil d’Etat suit la jurisprudence du Tribunal des conflits, dégagée par l’arrêt « commune de Saint-Palais-sur-Mer » du 9 Décembre 2013 (Tribunal des conflits, n° C3931), qui tend à créer un bloc exclusif de compétence au profit du juge administratif, la compétence du juge judiciaire n’intervenant in fine que dans les cas les plus graves.

En l’espèce, il convient de retenir :

  • Les Epoux B. sont propriétaires d’une parcelle qu’ils ont souhaité allotir afin de faire réaliser des constructions
  • Ils ont demandé le 28 Juillet 2011 à ENEDIS (ex ERDF) de procéder à la suppression des poteaux et lignes électriques implantés, selon eux, irrégulièrement, sur leur propriété
  • Ils ont renouvelé leur demande les 16 novembre 2011, 26 février, 23 octobre et 14 novembre 2012
  • Le 5 décembre 2012, la société ERDF leur a adressé un devis relatif au coût de la mise sous terre des lignes électriques et de dépose des ouvrages litigieux.
  • les Epoux B. ont accepté ces devis et versé des acomptes, à hauteur de 50 % du montant total des travaux, puis ils ont demandé à ERDF de les indemniser des préjudices qu’ils estimaient avoir subis.
  • Par un jugement du 28 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la société ERDF à leur verser la somme de 368 216,38 euros en réparation de leurs préjudices comme présentée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
  • Par un arrêt du 27 juillet 2017, la Cour administrative d’appel de LYON a rejeté leur appel, estimant que les conclusions de M. et Mme B. sont relatives à l’indemnisation des préjudices découlant de l’application de la convention conclue entre eux, et en a déduit qu’elles relevaient de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire

 

Les Epoux B. ont alors formé un pourvoi.

Le Conseil d’Etat devait se pencher sur le point de savoir si la présence d’un contrat de droit privé entre la Société ERDF et les Epoux B. devait emporter la compétence du Juge judiciaire pour connaitre de la demande d’indemnisation.

Le Conseil d’Etat prend le soin de rappeler que « la convention par laquelle M. et Mme B…ont confié à la société ERDF la réalisation des travaux de mise en souterrain des lignes électriques et de dépose des supports des ouvrages avait le caractère d’un contrat de droit privé« .

Puis, dans son considérant de principe, le Conseil d’Etat

  • rappelle que « sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l’Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l’autorité judiciaire par des règles ou principes de valeur constitutionnelle« 
  • énonce que « dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété« .

L’arrêt de la Cour administrative d’appel est censuré aux motifs que :

  • les conclusions des Epoux B. tendaient principalement à faire constater le caractère irrégulier de l’implantation d’ouvrages publics sur les terrains dont ils étaient propriétaires par la société ERDF, qui ne justifiait d’aucun titre l’autorisant à les occuper, et à faire condamner cette dernière à les indemniser des préjudices qui leur avaient été causés par cette atteinte à leur propriété, indépendamment de l’engagement de la responsabilité contractuelle d’ERDF pour la mauvaise exécution du contrat portant sur l’enlèvement de ces ouvrages, né de l’acceptation par M. et Mme B…du devis qui leur avait été adressé.
  • la juridiction administrative est compétente pour statuer sur les conclusions tendant à la réparation des conséquences de l’atteinte portée à la propriété privée des Epoux B., laquelle n’a pas pour effet l’extinction de leur droit de propriété.
  • en estimant que les préjudices allégués par les Epoux B. résultaient de l’exécution du contrat que ceux-ci avaient passé avec la société ERDF, la cour administrative d’appel s’est méprise sur la portée des conclusions dont elle était saisie et a entaché son arrêt d’insuffisance de motivation en ne statuant pas sur l’engagement de la responsabilité de la société ERDF à raison de l’atteinte portée à la propriété privée des intéressés.

Il importe de souligner que la question de la bonne exécution du contrat (l’enlèvement des ouvrages) conclu entre les Epoux B. et la Société ERDF indiffère dans la détermination de la juridiction compétente. C’est la nature de la demande qui prime.

Le Conseil d’Etat s’inscrit pleinement dans la ligne de la décision du Tribunal des conflits dans l’arrêt « commune de Saint-Palais-sur-Mer » du 9 Décembre 2013 (Tribunal des conflits, n° C3931), suivi d’ores et déjà par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 11 Mars 2015, pourvoi n° 13-24133).

Sauf à perdre plusieurs années en procédure inutile, il sera important de vérifier la compétence juridictionnelle avant toute action, en veillant à bien respecter la procédure applicable en droit administratif.

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