Le maître de l’ouvrage qui n’a pas émis de réserves concernant des désordres apparents lors de la réception ne peut pas, sauf si des stipulations contractuelles le prévoient, inscrire dans le décompte général du marché des sommes visant à procéder à leur réparation (CE, 12 Juin 2019, n° 420031)

En marchés publics, l’intervention du décompte général définitif s’avère toute aussi importante que la réception des ouvrages. Le maître d’ouvrage doit veiller à prendre en compte chaque élément susceptible de connaitre une suite contentieuse.

Le Conseil d’Etat a ainsi notamment récemment rappelé que :

  • L’établissement du décompte général définitif ne fait pas obstacle à l’appel en garantie du maître d’ouvrage contre un locateur d’ouvrage sauf en l’absence de réserve émise, même non chiffrée, en connaissance du manquement (CE, 6 Mai 2019, n° 420765)
  • le maître d’ouvrage doit veiller à poser des réserves lors de la notification du décompte général, même si elles ne peuvent être chiffrées, ou à surseoir à l’établissement du décompte jusqu’à ce que sa créance puisse y être intégrée. A défaut, il ne pourra plus rechercher la responsabilité contractuelle de l’entreprise mise en cause (en ce sens : CE, 19 Novembre 2018, n° 408203).

Par son arrêt du 12 Juin 2019 (CE, 12 Juin 2019, n° 420031), le Conseil d’Etat vient préciser l’articulation entre réception de l’ouvrage et établissement du DGD.

En l’espèce, il convient de retenir que :

  • selon acte d’engagement du 9 décembre 2011, la société Angelo Meccoli et Cie s’est vu attribuer par Réseau Ferré de France (RFF) un marché de rénovation de la ligne ferroviaire Clermont-Ferrand / Volvic.
  • La société SCET en a été désignée maître d’ouvrage délégué et la société Inexia, devenue Systra a été désignée maître d’œuvre.
  • Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 15 mars 2013.
  • Ces réserves ont été levées le 18 juin 2013.
  • Par un projet de décompte final et un mémoire de réclamation du 1er juillet 2013, notifiés le 3 juillet 2013, la société Angelo Meccoli et Cie a demandé au maître d’œuvre le règlement de la somme de 8 290 767,22 euros pour les prestations et travaux commandés au titre du marché, 2 064 962,80 euros pour des travaux supplémentaires et 741 389,27 euros d’indemnité en raison de l’interruption du chantier au mois de septembre 2012.
  • RFF a établi le décompte général le 10 avril 2014 et l’a notifié à la société Angelo Meccoli et Cie, qui l’a signé avec réserves le 22 mai 2014.
  • Saisi par la société Angelo Meccoli et Cie, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 2 juin 2016, fait droit partiellement à sa demande en lui accordant une somme de 41 527,50 euros au titre des travaux supplémentaires, une réduction de 721 250 euros des pénalités initialement mises à sa charge pour un montant de 1 320 750 euros et une diminution de 2 975 786,75 euros des réfactions initialement effectuées par RFF, devenu SNCF Réseau, pour un montant de 3 815 962,25 euros, et en condamnant en conséquence SNCF Réseau à lui verser la somme de 182 648,28 euros au titre du solde du marché.
  • Sur appel de SNCF Réseau, la cour administrative d’appel de Paris a, par un arrêt du 20 février 2018, réformé ce jugement, rejeté partiellement ses conclusions et prescrit, avant-dire droit, une mesure d’expertise.

La Société ANGLO MECOOLI et Cie a formé un pourvoi.

Le pourvoi examiné concernait uniquement les réfactions sur le prix du marché de rénovation de la ligne ferroviaire Clermont-Ferrand / Volvic appliquées par SNCF Réseau en raison de la mauvaise implantation des voies principales, de remises en conformité et de dégradations subies par les traverses de certaines portions de voie.

Le Conseil d’Etat devait déterminer si, en l’absence de réserves en lien à la réception, le maître d’ouvrage était en droit de porter au décompte général du marché des sommes destinées à réaliser des travaux de reprise du positionnement des rails pour un montant de 2,7 millions d’euros, ainsi que des réfactions pour remises en conformité pour un montant de 332 668 euros.

En d’autres termes, le maître d’ouvrage pouvait-il régler au travers du décompte général la question des réserves non posées à réception.

Le Conseil d’Etat vient rappeler qu’en principe, il ne peut rattraper son erreur (sauf à se retourner contre le maître, ce qui est un autre débat…).

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle que :

  • la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage.
  • Si la réception interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure.
  • la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif. Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard.

Puis, dans un 2nd temps, le Conseil d’Etat indique que :

  • Il résulte de ce qui précède que le maître de l’ouvrage qui n’a pas émis de réserves concernant des désordres apparents lors de la réception ne peut pas, sauf si des stipulations contractuelles le prévoient, inscrire dans le décompte général du marché des sommes visant à procéder à leur réparation.
  • Dès lors, en jugeant que la réception sans réserve des travaux était, par elle-même, sans incidence sur la possibilité, pour SNCF Réseau, de porter au décompte général du marché des sommes destinées à réaliser des travaux de reprise du positionnement des rails pour un montant de 2,7 millions d’euros, ainsi que des réfactions pour remises en conformité pour un montant de 332 668 euros, sans avoir recherché ni si les vices étaient apparents lors de la réception, ni si une clause contractuelle permettait de déroger à ce principe, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit.

Lot de consolation pour RFF, le Conseil d’Etat estime que « la cour administrative d’appel n’a pas entaché son arrêt de dénaturation en estimant que la dégradation subie par les traverses de certaines portions de voie était imputable à la société Angelo Meccoli et Cie et que, par suite, la réfaction des sommes de 60 290,50 euros et 431 217 euros effectuée sur le prix du marché, correspondant au remplacement de traverses endommagées ou fissurées pendant les travaux, était justifiée« .

Le Conseil d’Etat confirme ainsi sa jurisprudence (voir en ce sens : CE, Sect., 6 Avril 2007, n°264490).

Ainsi, il convient de retenir le schéma :

  • Ce qui concerne les travaux commandés relève de la réception
  • L’application des pénalités de retard, réfactions, travaux supplémentaires relève du décompte général

tout en gardant surtout à l’esprit que si le maître d’ouvrage notifie le décompte général d’un marché public de travaux alors même que des réserves relatives à l’état de l’ouvrage achevé n’ont pas été levées et qu’il n’est pas fait état des sommes correspondant à la réalisation des travaux nécessaires à la levée des réserves au sein de ce décompte, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes, même si un litige portant sur la responsabilité des constructeurs est en cours devant le juge administratif (en ce sens : CE, 20 Mars 2013, n° 357636), ce que le Conseil d’Etat a récemment rappelé (CE, 6 Mai 2019, n° 420765).

Dès lors, en cas d’action relative à une réserve posée à réception, l’entreprise concernée et son assureur seront bien avisés d’aller examiner le décompte général définitif.

Le Maître d’ouvrage personne public ne pourra rattraper au travers du décompte général une éventuelle omission lors de la réception, sauf à rechercher la responsabilité du maître d’œuvre (CE, Sect., 6 Avril 2007, n°264490).

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