Inapplication de la jurisprudence Czabaj aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés (CE, 17 Juin 2019, n° 413097)

L’arrêt « Czabaj » du Conseil d’Etat en date du 13 Juillet 2016 (requête n°387763) avait marqué la jurisprudence administrative, en limitant dans le temps la possibilité de contester une décision administrative nonobstant l’absence de mention des voies de recours.

Cette jurisprudence avait connu ensuite de multiples déclinaisons.

A l’occasion d’un avis en date du 30 Janvier 2019 (requête n°420797), le Conseil d’Etat avait d’ailleurs précisé que cette jurisprudence s’appliquait d’ailleurs aux décisions implicites de rejet nées antérieurement au 1er janvier 2017, sauf :

  • en ce qui concerne les relations entre l’administration et ses agents
  • lorsque l’accusé de réception prévu par l’article L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration n’a pas été transmis à l’usager ou que cet accusé de réception ne porte pas les mentions prévues à l’article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.

Par un arrêt en date du 18 Mars 2019 (CE, 18 Mars 2019, requête n° 417270), le Conseil d’Etat avait penché en faveur de la sécurité juridique au sujet d’une décision implicite de rejet née postérieurement au Décret JADE et sur la possibilité de la contester indéfiniment dans le temps, lorsqu’aucun accusé de réception n’avait été émis, sous certaines conditions. Il avait ainsi précisé que concernant une décision implicite de rejet, le délai de recours d’un an (sauf exceptions) court :

  • soit à compter de la date de naissance de la décision implicite (s’il est établi que « l’intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande« )
  • soit à compter de la date de l’évènement établissant qu’il a eu connaissance de la décision (par exemple un courrier de sa part adressé à l’Administration).

 

Cette jurisprudence pouvait s’avérer redoutable pour les justiciables.

Par son arrêt du 17 Juin 2019 (CE, 17 Juin 2019, n° 413097), le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps les fondements textuels applicables :

  • l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, dans sa rédaction antérieure au 1er Janvier 2017 : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée « 
  • l’article R. 421-5 du Code de justice administrative : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision« 
  • l’article L. 1142-7 du Code de justice administrative selon lequel une personne qui s’estime victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins peut saisir la commission de conciliation et d’indemnisation et que cette saisine interrompt le délai de recours contentieux jusqu’au terme de la procédure engagée devant la commission.

Le Conseil d’Etat rappelle alors que :

  • « eu égard à l’objectif poursuivi par le législateur en instituant cette procédure, la notification de la décision par laquelle un établissement public de santé rejette la réclamation d’un patient tendant à l’indemnisation d’un dommage doit indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est interrompu en cas de saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation« 
  • « Si elle ne comporte pas cette double indication, la notification ne fait pas courir le délai imparti à l’intéressé pour présenter un recours indemnitaire devant le juge administratif« 

Puis dans un second temps, le Conseil d’Etat

  • Reprend les termes de sa jurisprudence Czabaj selon laquelle :

« Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an »

  • Y apporte une limitation, dans l’hypothèse suivante :

« Toutefois, cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du code de la santé publique »

L’existence de règles de prescription prévues par les textes serait donc de nature à assurer l’objectif de sécurité juridique et ferait alors obstacle à la jurisprudence Czabaj.

En ce qui concerne les victimes d’accidents médicaux (au sens large), il convient de retenir le délai de 10 ans qui court à compter de la consolidation de la victime (ou de son décès pour l’action de ses ayants-droit). Cet arrêt a le mérite de clarifier la situation.

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