Accident médical non fautif couplé à une faute à l’origine d’une perte de chance d’éviter le dommage : conditions de répartition entre l’ONIAM et l’établissement responsable (CE, 10 Juin 2020, n° 418166)

L’un des (nombreux) apports de la Loi du 4 Mars 2002 a été de prévoir l’intervention de la solidarité nationale pour les accidents médicaux non fautifs, avec l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique via l’ONIAM (Office Nationale d’Indemnisation des Accidents Médicaux).

Ainsi, les victimes subissant les conséquences les plus graves, et leurs ayants-droits en cas de décès, peuvent bénéficier d’une indemnisation par l’ONIAM, sous conditions :

  • imputabilité directe à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins
  • conséquences anormales pour le patient au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci
  • caractère de gravité défini à l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique (dont l’AIPP égale ou supérieure à 24%)

En application du dernier alinéa de l’article L. 1142-17 du Code de la santé publique, l’ONIAM, subrogé dans les droits de la victime, pourra se retourner ensuite contre l’établissement de santé, à condition qu’une faute puisse être reprochée contre celui-ci.

Certaines situations sont plus complexes où, à côté d’un accident médical non fautif, sera caractérisée une faute d’un professionnel de santé.

Une faute médicale peut n’être à l’origine que d’une perte de chance d’éviter la survenance de l’accident médical non fautif.

En application de la théorie de la perte de chance, la victime n’est indemnisée de son préjudice qu’au prorata du taux de perte de chance. Par exemple, si la faute a fait perdre au patient 80 % de chances d’éviter la survenance du dommage, il aura droit à 80 % de la liquidation de son préjudice. Les 20 % restant correspondant à la probabilité que même correctement réalisé (ou correctement informé), le dommage serait malgré tout survenu.

En présence d’un accident médical non fautif, sous réserves des critères de gravité, la victime a droit à l’indemnisation intégrale de son préjudice par l’ONIAM.

Par son arrêt du 10 Juin 2020 (CE, 10 Juin 2020, n° 418166), le Conseil d’Etat a l’occasion de confirmer sa jurisprudence issue de son arrêt du 30 Mars 2011 (CE, 30 Mars 2011, n°327669), consacrant un principe de subsidiarité de l’intervention de l’ONIAM, et la nécessité pour la victime de diviser ses recours pour obtenir une indemnisation intégrale.

En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que

  • E C a subi au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims un traitement en caisson hyperbare.
  • Au cours de ce traitement, il a été victime d’un arrêt cardio-respiratoire dont il a conservé de lourdes séquelles neurologiques.

Par un arrêt du 14 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Nancy a jugé que

  • cet arrêt cardio-respiratoire constituait un accident médical non fautif, ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique
  • mais qu’une faute médicale commise lors du traitement en caisson hyperbare avait néanmoins fait perdre 55 % de chances d’éviter l’accident.

et a en conséquence, mis à la charge :

  • de l’ONIAM, la réparation au titre de la solidarité nationale de 45 % des préjudices subis par M. C
  • de l’établissement hospitalier 55% des préjudices subis par M. C, outre le remboursement à la CPAM 55 % de ses débours.

L’ONIAM a formé un pourvoi, tandis que le CHU de REIMS et la victime ont formé un appel provoqué.

Le Conseil d’Etat écarte tout d’abord le moyen tiré d’une responsabilité de l’établissement de santé du fait du matériel utilisé faute de preuve :

  • d’un défaut du respirateur mécanique assurant la ventilation de M. C pendant son traitement
  • d’un dysfonctionnement du respirateur ou du circuit inspiratoire.

A ce sujet, il sera simplement rappelé que le Conseil d’Etat a décidé de maintenir un régime de responsabilité sans faute (CE, Sect, 25 Juillet 2013, n°339922 : « le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise« ) tandis que la Cour de cassation opte dorénavant pour un régime de responsabilité pour faute prouvée (C.Cass., Civ. 1ère, 12 juillet 2012, n°11-17510).

Puis, concernant la faute du CHU de Reims et la réparation due par l’ONIAM, le Conseil d’Etat rappelle que :

  • Si les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l’ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d’un dommage en vertu du I du même article, elles n’excluent toute indemnisation par l’office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d’un fait engageant leur responsabilité.
  • Dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l’article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d’échapper à l’accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident non fautif.
  • Par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l’indemnité due par l’ONIAM étant seulement réduite du montant de l’indemnité mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l’ampleur de la chance perdue.

Sur les données de l’espèce, le Conseil d’Etat considère ensuite que

  • « la mauvaise évaluation clinique des paramètres hémodynamiques du patient et le manque de réactivité du médecin chargé de la surveillance n’étaient pas la cause directe de l’arrêt cardio-vasculaire survenu dix minutes après la sortie du caisson hyperbare, mais avaient seulement diminué les chances d’éviter un accident qui devait être regardé comme non fautif« 
  • « estimant que le pourcentage de perte de chance résultant des fautes commises lors de la surveillance du traitement en caisson hyperbare s’élevait à 55 % de chances perdues d’éviter l’accident, la cour administrative d’appel a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation« 
  • « après avoir constaté que les conditions relatives à la gravité et à l’anormalité du dommage prévues par le II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique étaient remplies, que la solidarité nationale devait assurer la réparation des dommages subis par M. C, mais que l’indemnité due par l’ONIAM devait être réduite du montant de l’indemnité mise à la charge de l’établissement au titre de la perte de chance, elle n’a pas commis d’erreur de droit« .

La victime bénéficie ainsi d’une indemnisation intégrale de ses préjudices, mais à condition d’avoir veiller à appeler à la cause tant l’établissement de santé que l’ONIAM.

Cette solution avait déjà été confirmée en 2014 (CE, 12 Décembre 2014, n° 355052).

Il convient de relever au passage, concernant les débours de la CPAM, que  l’ONIAM n’avait pas été condamné à supporter la quote-part de 45 %, puisque l’ONIAM « n’assure, au titre de la solidarité nationale, ni la réparation des préjudices des personnes ne remplissant pas les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ni le remboursement des frais demandé par un tiers payeur exerçant le recours subrogatoire défini à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale » (CE, 30 Mars 2011, n°327669).

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