Responsabilité décennale de l’Architecte chargé uniquement d’une mission PC pour un désordre de soulèvement du sol et des fissures sur le dallage, car devant proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Novembre 2019, n° 16-23509)

La responsabilité décennale édictée par les articles 1792 et suivants du Code civil est un régime juridique favorable au maître d’ouvrage en ce sens qu’il dispense celui-ci de rapporter la preuve d’une faute d’un constructeur.

Ce régime ne dispense pas pour autant le demandeur à l’instance de rapporter la preuve de l’imputabilité. Celle-ci peut se définir comme le lien entre l’action (ou inaction) d’un constructeur et le désordre affectant l’ouvrage.

Sans preuve d’imputabilité, point de responsabilité décennale. La Cour de cassation a pu le rappeler par un arrêt du 13 Juin 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16725).

Il est donc important pour le défendeur de discuter de l’imputabilité dès le stade de l’expertise afin de se ménager tout élément de discussion utile devant la Juridiction du fond saisie ultérieurement.

L’Architecte est soumis à la responsabilité décennale puisqu’assimilé à un constructeur de l’ouvrage au sens de l’article 1792-1 du Code civil.

Ses missions peuvent cependant être variées. Il est important de bien identifier les missions confiées.

L’arrêt prononcé, et publié, par la Cour de cassation le 21 Novembre 2019 doit appeler à la vigilance.

En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :

  • la société civile immobilière Cyremi (la SCI) a fait construire un garage sur un terrain dont elle a elle-même réalisé le remblai, avec des matériaux acquis auprès de la société Tramat
  • elle a confié la maîtrise d’œuvre à M. Z…, l’établissement et le dépôt de la demande de permis de construire à M. X…, architecte, l’étude des fondations à M. Y…, les travaux de fondations et la réalisation des longrines et d’une partie du dallage à M. C.., et l’autre partie du dallage à la société Rocland Nord-Est
  • se plaignant d’un soulèvement du sol et des fissures sur le dallage, la SCI a, après expertise, assigné les intervenants à la construction en réparation des désordres.

Par un arrêt en date du 12 Mai 2016, la Cour d’appel de METZ  a

  • retenu la responsabilité décennale de Monsieur X
  • condamné Monsieur X, in solidum avec MM. Z… et Y…, à payer à la SCI la somme de 625 000 euros
  • fixé sa part de responsabilité à concurrence de 25 %.

Monsieur X a formé un pourvoi avec le moyen suivant :

  • 1°/ que l’architecte n’est responsable que dans les limites de la mission qui lui a été confiée ; que l’architecte chargé seulement d’une mission d’établissement d’un dossier de permis de construire n’est pas tenu de réaliser des travaux de reconnaissance des sols ni d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur la nécessité d’en réaliser ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations mêmes de l’arrêt attaqué que la participation de M. X… à l’opération de construction du garage s’est limitée à l’établissement des dossiers de permis de construire et à la présentation de la demande de permis ; qu’il résulte également de ces constatations que les désordres sont dus à la présence d’un remblai gonflant impropre à l’usage qui en a été fait et qui a été mis en oeuvre par le maître d’ouvrage ; qu’en déclarant M. X… responsable de ces désordres, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l’article 1792 du code civil ;
  • 2°/ que M. X… a fait valoir, dans ses conclusions d’appel, que la pose du remblai ayant provoqué les désordres était postérieure au dépôt du dossier de permis de construire, donc à l’achèvement de sa mission, de sorte qu’il ne pouvait être déclaré responsable à ce titre ; qu’en le déclarant néanmoins responsable des désordres causés par le remblai litigieux, sans répondre à ses conclusions pertinentes, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

Par son arrêt du 21 Novembre 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Novembre 2019, n° 16-23509), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation écarte ce moyen, approuvant la Cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité décennale de l’Architecte, au motif que

  • Il était l’auteur du projet architectural et chargé d’établir les documents du permis de construire
  • il devait proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol
  • il a été constaté que la mauvaise qualité des remblais, mis en œuvre avant son intervention, était la cause exclusive des désordres compromettant la solidité de l’ouvrage.

La solution apparait rigoureuse et donne à réfléchir sur la notion d’imputabilité vis-à-vis de la mission PC.

A lire le site du Conseil National de l’Ordre des Architectes, la mission PC se définirait ainsi :

  • « Elaboration du dossier de Permis de construire L’architecte établit et signe les documents graphiques et autres pièces écrites de sa compétence, nécessaires à la constitution du dossier de demande de permis de construire suivant la réglementation en vigueur. Il assiste le maître d’ouvrage pour la constitution du dossier administratif après lui avoir indiqué le contenu obligatoire de ce dossier et les pièces dont la fourniture lui incombe. Le maître d’ouvrage après avoir signé tous les documents, y compris les documents graphiques, dépose le dossier de permis de construire auprès du service instructeur. Ces documents graphiques ne peuvent en aucun cas être directement utilisés pour réaliser la construction»
  • « Instruction du Permis de construire Postérieurement au dépôt du permis de construire, l’architecte assiste le maître d’ouvrage, à sa demande, dans ses rapports avec l’administration. Le maître d’ouvrage informe l’architecte de tout échange de correspondance avec l’administration. Dès réception du permis de construire, il transmet à l’architecte copie de l’arrêté et de ses éventuelles annexes. Le maître d’ouvrage procède à l’affichage réglementaire sur le terrain»

On peut s’interroger sur la prise en compte des contraintes de sol pour l’établissement des documents graphiques, a fortiori, comme en l’espèce, lorsqu’un prestataire a spécialement été missionné pour l’étude des fondations.

Le doute serait permis en prenant en compte la mission partielle « permis de construire » proposée par le Conseil national de l’Ordre des architectes, où sont intégrées les missions « études préliminaires » et « études d’avant projet » mais là encore, retenir une imputabilité entre le désordre et ces missions apparait rigoureux.

La solution apparait d’autant plus sévère que l’Architecte supporte au final une quote-part de responsabilité de 25 %. Les recours en garantie entre co-responsables étant déterminés en fonction des fautes respectives (ou à défaut, à parts viriles), il s’en déduirait que l’architecte a donc commis une faute, le privant d’un recours en garantie intégral. Cependant, aucun moyen n’avait été soulevé à ce titre.

L’imputabilité est certes une notion juridique mais fait appel à des considérations techniques, où les juges s’appuient fréquemment sur le rapport de l’Expert judiciaire. Dans cet arrêt, les termes du rapport ne sont pas explicités. Mais la question de l’imputabilité doit être débattue dès le stade de l’expertise.

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