Infection nosocomiale : le Juge administratif ne peut limiter à une fraction seulement du dommage le droit à réparation de la victime en tenant compte de l’état initial (diabète insulino-dépendant déséquilibré comme facteur de risque de l’infection à hauteur de 50 %) : CAA NANTES, 24 Mai 2019, 24/05/2019, 17NT02070

La responsabilité médicale et le droit du dommage corporel nécessitent une analyse fine et pointue lors de la liquidation des préjudices, sous le principe de réparation intégrale.

La question des préjudices imputables est une question récurrente, qui s’avère d’autant plus compliquée que le patient a été amené à fréquenter médecins, hôpitaux et autres établissement de santé pour des soucis de santé lié à son état initial.

Il est donc nécessaire de pouvoir faire la part des choses entre les préjudices liés à l’état initial ou à la pathologie, et ceux imputables à une infection nosocomiale.

Ainsi, dans quelle mesure l’état de santé initiale du patient doit-il être pris en compte dans l’évaluation de ses préjudices lors de la survenance d’une infection nosocomiale ?

La Cour administrative d’appel de NANTES a prononcé le 24 Mai 2019 (CAA NANTES, 24 Mai 2019, 24/05/2019, 17NT02070), publié le 30 Juillet 2019 dans son cahier n°26, un arrêt intéressant sur la question, faisant écho à un arrêt du Conseil d’Etat en date du 6 Novembre 2013 (CE, 06/11/2013, n° 352492).

La solution dégagée ne doit pas être source de confusion.

Il ne s’agit pas ici de la question de l’application de la théorie de la perte de chance, ou lorsque l’infection nosocomiale vient majorer un préjudice déjà existant, conséquence d’une maladie, d’un accident de la circulation ou d’un accident de la vie.

Il s’agit de savoir si l’état de santé initial du patient doit être pris en compte pour diminuer son droit à indemnisation, lorsque ses préjudices surviennent à l’occasion d’une infection nosocomiale.

Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir les éléments suivants :

  • A la suite d’une méniscectomie pratiquée au centre hospitalier de Bayeux le 21 août 2012, M. B…F…a été victime d’une infection nosocomiale dont il a demandé réparation.
  • Sur la base de l’avis rendu le 1er octobre 2014 par la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, il a accepté l’offre formulée par la société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), assureur de l’établissement hospitalier, pour un montant de 19 677,75 euros.
  • La CPAM du Calvados a, pour sa part, saisi le tribunal administratif de Caen d’une demande tendant au remboursement des débours exposés par elle, à hauteur de 151 159,48 euros, pour la prise en charge de l’infection de M.F….
  • Monsieur F. est également intervenu à l’instance pour demander que l’indemnisation de son préjudice soit augmentée d’une somme complémentaire de 19 677,75 euros.

Par un jugement du 24 mai 2017 le tribunal administratif de Caen a estimé que

  • A estimé que l’infection dont a été victime M. F…présentait un caractère nosocomial en lien direct avec l’intervention du 21 août 2012
  • a retenu que l’état antérieur du patient (diabète insulino-dépendant déséquilibré) était un facteur de risque à hauteur de 50 %,
  • a condamné le centre hospitalier de Bayeux à verser à la CPAM du Calvados les sommes de 75 579,74 euros au titres des débours exposés et 1 055 euros au titre des dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
  • a également rejeté la demande d’indemnisation complémentaire présentée par M.F….

La caisse primaire d’assurance maladie du Calvados a formé un appel tendant à la réformation de ce jugement en tant qu’il n’a que partiellement fait droit à sa demande.

Il convient de préciser que l’indemnisation du patient ne sera pas examinée au fond par la Cour administrative d’appel puisque l’appel présenté par Monsieur F… a été qualifié d’appel principal, et non incident, et a dès lors été déposé tardivement.

La question du droit à indemnisation demeurait cependant d’actualité au travers des débours de la CPAM, qui a fait valoir que :

  • c’est à tort que le Tribunal administratif a réduit de 50 % le droit à indemnisation après avoir pourtant reconnu le caractère d’infection nosocomiale
  • il n’est pas possible de considérer que le diabète initialement présent chez le patient constituait un état antérieur facteur de risque d’infection à hauteur de 50%
  • les dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique ne prévoient en effet comme seule cause d’exonération pour les suites d’une infection nosocomiale contractée dans un établissement de soins la cause étrangère, à laquelle ne saurait être assimilé l’état antérieur facteur de risque.

Sur la question de la qualification d’infection nosocomiale, la solution retenue par la Cour administrative d’appel de NANTES est classique.

Elle rappelle :

  • « qu’aux termes du second alinéa du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins  » sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère« 
  • Que « doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge« 

Avant de s’appuyer sur le rapport d’expertise, pour retenir « qu’en l’absence de toute cause étrangère retenue par les experts, l’infection dont a été victime M. F…, qui n’était ni présente, ni en incubation avant l’intervention du 21 août 2012, présentait un caractère nosocomial en lien direct avec l’intervention litigieuse« .

Puis, sur la question de la réduction du droit à indemnisation, la Cour administrative d’appel de NANTES énonce clairement que « lorsque le juge administratif estime que l’infection dont a été victime un patient pris en charge par un établissement de santé présente un caractère nosocomial, il ne peut limiter à une fraction seulement du dommage le droit à réparation de la victime, et en conséquence les droits à remboursement des débours exposés en sa qualité de subrogé par l’organisme social en relation directe et certaine avec l’infection en cause, en retenant l’état de santé initial du patient« .

Le Jugement du Tribunal administratif de CAEN est censuré :

« C’est, par suite, à tort que le tribunal administratif de Caen a retenu l’état antérieur de M.F…, qui présentait un diabète insulino-dépendant déséquilibré, comme facteur de risque à hauteur de 50 % pour limiter la demande de remboursement des frais exposés en faveur de son assuré présentée par la CPAM du Calvados »

La CPAM doit être remboursée en totalité de ses débours.

La balance penche en faveur du patient et de la solidarité nationale : même si l’état de santé du patient est un facteur aggravant le risque d’infection nosocomiale, les juridictions administratives ne doivent pas le prendre en compte pour diminuer son droit à indemnisation.

La Cour administrative d’appel de NANTES s’inscrit dans les suites d’un arrêt du Conseil d’Etat du 6 Novembre 2013 (CE, 06/11/2013, n° 352492 ; La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 30-34, 28 Juillet 2014, 2234 Responsabilité médicale et hospitalière Décisions d’octobre 2013 à mars 2014 – Chronique Sous la direction de Marie-Laure Moquet-Anger), relatif à un acte médical non fautif aux lourdes conséquences.

La Cour administrative d’appel de NANTES avait à l’époque estimé que « si les conséquences de l’acte de soin ne peuvent être considérées comme normales, il est néanmoins nécessaire de tenir compte, d’une part, de l’état de santé initial de l’enfant dont le pronostic vital était engagé à la naissance et, d’autre part, de la complication technique imprévisible et inhabituelle rencontrée lors de l’intervention litigieuse » et qu’il y avait lieu, en conséquence, « de fixer à 50 % le montant du préjudice imputable à l’état antérieur de l’enfant« .

Le Conseil d’Etat avait alors censuré cet arrêt en retenant que :

« Considérant qu’après avoir constaté que les conséquences dommageables de l’intervention ne résultaient pas d’une faute du service hospitalier mais d’une complication technique imprévisible et qu’elles remplissaient les conditions d’anormalité et de gravité ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, la cour a commis une erreur de droit en limitant ce droit à réparation à une fraction seulement du dommage »

Ainsi, tant au stade de l’expertise (judiciaire ou CCI), qu’au stade contentieux, et en matière d’infection nosocomiale, le patient devra veiller à contester tout impact de son état de santé initial sur son droit à indemnisation, et tout pourcentage de réduction.

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