Conditions d’opposabilité d’un rapport d’expertise judiciaire à une partie non-appelée à la cause : pas de condamnation sans éléments supplémentaires (C.Cass., Civ. 3ème, 19 décembre 2019, pourvoi n°14-29882)

Un rapport d’expertise judiciaire, obtenu consécutivement, notamment à une ordonnance du Juge des référés (article 145 du Code de procédure civile) ou du Juge de la mise en état (article 771 du Code de procédure civile), représente bien souvent un élément déterminant dans les débats tenus au fond devant les juridictions. Son encadrement par les dispositions du Code de procédure civile lui confère un poids supplémentaire.

L’un des intérêts du rapport d’expertise judiciaire est d’avoir pu permettre aux parties de débattre devant un Expert de questions techniques dont dépendront des questions juridiques.

La situation se complique cependant lorsqu’un demandeur invoque un rapport d’expertise judiciaire à l’encontre d’une partie qui n’avait pas été appelée à la cause au stade de l’expertise.

Cela n’est pas sans conséquence sur la procédure ultérieure au fond.

En effet, l’article 16 du Code de procédure civile impose aux juridictions de respecter et de faire respecter le principe du contradictoire.

La Cour de cassation n’interdit pas l’invocabilité d’un rapport d’expertise judiciaire contre une partie qui n’était pas à la cause, à la condition.

Par un arrêt en date du 27 Mai 2010, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation avait déjà rappelé cette position (C.Cass., Civ. 3ème 27 Mai 2010, n° 09-12693).

La Chambre mixte de la Cour de cassation a suivi par un arrêt en date du 28 Septembre 2012 (C.Cass., Ch. Mixte, 28 septembre 2012, n°11-18710).

Revenant sur son ancienne jurisprudence, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation a rejoint cette position (C.Cass., Civ. 2ème, 7 septembre 2017, n°16-15531).

L’arrêt du 19 Décembre 2019 de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation marque un rappel intéressant à ce sujet.

Sur le plan factuel, il convient de retenir que

  • la société civile immobilière de la Baou (la SCI), a fait réaliser un groupe d’immeubles, dénommé […], placés sous le régime de la copropriété
  • B…, architecte, assuré auprès de la MAF a été chargé de la maîtrise d’œuvre, la société OBV a réalisé le gros œuvre, la société […] les terrassements, la société SEEE les aménagements du jardin et l’arrosage automatique
  • une expertise judiciaire a été ordonnée mais à laquelle la société […], chargée des terrassements, n’a pas été appelée à la cause
  • se plaignant de divers désordres, le syndicat des copropriétaires a, après expertise, assigné en indemnisation la SCI, laquelle a appelé en garantie l’architecte et les entreprises.

Par un arrêt en date du 11 Septembre 2014, la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE a notamment

  • rejeté la demande de la société […] tendant à voir écarter le rapport d’expertise
  • condamné la société […] à payer diverses sommes sur la base de ce rapport.

Pour fonder sa position, la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE a estimé si la société […] n’a pas été appelée aux opérations d’expertise, il est toujours possible de se reporter au rapport qui a été soumis à la libre discussion des parties, celui-ci devant alors être appuyé par d’autres éléments.

Pour autant, la Cour d’appel n’a pas indiqué sur quel autre élément elle déduisait la responsabilité de la société […].

Sur l’initiative d’un pourvoi formé par cette société […], la Cour de cassation, sous le visa de l’article 16 du Code de procédure civile, censure l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point, lui reprochant d’avoir privé de base légale sa décision, en ne précisant pas de quel autre élément elle déduisait la responsabilité de la société […].

Il est donc important de privilégier la mise à la cause des parties susceptibles de voir leur responsabilité dès le stade de l’expertise judiciaire. A défaut, il faudra apporter des éléments probatoires supplémentaires au fond.

Par contre, il sera utilement rappelé que le rapport opposable à l’assuré est opposable à l’assureur, sauf pour celui-ci a rapporté la preuve d’une fraude de son assuré (C.Cass., Civ. 3ème, 9 Juin 2004, n°03-11480).

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