Par un arrêt (non publié) du 7 Octobre 2020, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 1ère, 7 Octobre 2020, n° 18-20525) a l’occasion de revenir sur :
- la qualité à agir du crédit-preneur pour l’indemnisation de ses préjudices consécutifs à un sinistre
- l’obligation de conseil du courtier vis-à-vis de son client quant au montant des garanties souscrites.
Sur le plan factuel, il convient de retenir que
- le 22 octobre 2008, un incendie s’est déclaré dans l’usine de traitement des déchets de la société Triselec Lille, assurée par la société SMACL assurances, au cours d’une intervention de maintenance sur un convoyeur utilisé pour le cheminement des produits collectés, réalisée par la société Netco industrie, assurée par la société Allianz.
- La société Netco industrie (qui est devenue ensuite Nord Industrie) avait souscrit son contrat d’assurance par l’intermédiaire d’un courtier, lui-même assuré pour sa responsabilité civile par la société Axa France IARD.
- A l’issue d’une expertise judiciaire ordonnée en référé pour déterminer les circonstances de la survenance de l’incendie, la société Triselec Lille et son assureur ont assigné la société Nord industrie, anciennement dénommée Netco industrie, et son assureur Allianz, ainsi que la société […], en responsabilité et indemnisation.
Par un arrêt en date du 24 Mai 2018, la Cour d’appel de DOUAI a notamment condamné La société Nord industrie à
- réparer les conséquences dommageables de l’incendie
- payer une provision de 1 500 000 euros à valoir sur la réparation des dommages immatériels à la Société Triselec.
La Société Nord Industrie a formé un pourvoi, portant notamment sur :
- la qualité à agir de la Société Triselec, crédit-preneur au moment du sinistre
- la responsabilité de son courtier.
1°) Sur la qualité à agir du crédit-preneur
Au travers de son pourvoi, la Société Nord Industrie a reproché à la Cour d’appel d’avoir estimé que la société Triselec ayant levé l’option du crédit-bail, elle est désormais propriétaire de l’immeuble et des machines sinistrées et aurait donc qualité et intérêt à agir pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices.
Elle soutenait que :
- le préjudice matériel résultant de la destruction d’un bien est subi par son propriétaire au jour de sa destruction, de sorte que seul ce propriétaire a qualité pour agir en réparation de ce préjudice
- en toute hypothèse, seul le propriétaire du bien au jour de sa destruction a qualité pour agir en réparation du préjudice matériel consistant dans cette destruction même
- la cession d’un bien n’emporte pas de plein droit transmission au profit du cessionnaire des droits et actions à fin de dommages-intérêts à l’égard de tiers qui ont pu naître au profit du cédant en raison des dégradations causées au bien cédé.
En vertu de l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier, le crédit-bail peut porter
- soit sur des biens d’équipement ou de matériel d’outillage :
« Les opérations de location de biens d’équipement ou de matériel d’outillage achetés en vue de cette location par des entreprises qui en demeurent propriétaires, lorsque ces opérations, quelle que soit leur qualification, donnent au locataire la possibilité d’acquérir tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers »
- soit sur biens immobiliers à usage professionnel :
« Les opérations par lesquelles une entreprise donne en location des biens immobiliers à usage professionnel, achetés par elle ou construits pour son compte, lorsque ces opérations, quelle que soit leur qualification, permettent aux locataires de devenir propriétaires de tout ou partie des biens loués, au plus tard à l’expiration du bail, soit par cession en exécution d’une promesse unilatérale de vente, soit par acquisition directe ou indirecte des droits de propriété du terrain sur lequel ont été édifiés le ou les immeubles loués, soit par transfert de plein droit de la propriété des constructions édifiées sur le terrain appartenant audit locataire »
Il s’agit donc en résumé d’une opération financière par laquelle un crédit-bailleur fournit/construit/fait construire un bien (meuble ou immeuble) qu’il loue au crédit-preneur, celui-ci disposant, au plus tard à la levée du bail, de la possibilité d’acheter ce bien.
L’intérêt est principalement fiscal.
Sur le plan des responsabilités, en tant que locataire, le crédit-preneur risquerait en théorie de se retrouver privée de tout recours contre les fournisseurs, les constructeurs et les responsables d’un sinistre.
Il risquerait d’être privée de ses recours pour ses préjudices propres.
Il disposerait par contre de la possibilité d’agir en tant que mandataire du crédit-bailleur puisque généralement une clause d’ester en justice est insérée au profit de celui-ci (C.Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2001, n°99-19085)
L’arrêt de la 1ère Chambre civile représente un intérêt du 7 Octobre 2020 est favorable au crédit-preneur dans la mesure où celui-ci bénéficie a posteriori de la qualité pour agir dès lors qu’il a levé et est devenu propriétaire.
En l’espèce, la 1ère Chambre civile approuve la Cour d’appel d’avoir reconnu au crédit-preneur la qualité à agir pour l’indemnisation de ses préjudices consécutifs, dès qu’elle avait l’option du crédit-bail et était donc devenue propriétaire de l’immeuble et des machines sinistrés :
« Ayant constaté que la société Triselec Lille, crédit-preneur de l’immeuble et des machines sinistrés à la date de l’incendie, avait levé l’option du crédit-bail et était devenue propriétaire de ceux-ci, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, qu’elle avait qualité et intérêt à agir pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices consécutifs à cet incendie »
2°) Sur la responsabilité du courtier au titre de son obligation de conseil :
Selon le site de la Fédération Française de l’Assurance, le courtier est un commerçant inscrit au registre du commerce et des sociétés, qui représente ses clients, et pour le compte desquels il recherche, auprès des sociétés d’assurances, les garanties adaptées à leurs besoins, en négociant les conditions de tarif en faisant jouer la concurrence.
Contractuellement lié à son client, il est tenu notamment d’une obligation de conseil. Ainsi, dans un arrêt du 24 Mai 1989 (C.Cass., Civ. 1ère, 24 Mai 1989, n°87-11202), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que :
« Attendu qu’en se prononçant ainsi, alors, que le courtier, professionnel de l’assurance, a, à l’égard de son client, une obligation de conseil et d’exacte information, et sans rechercher, comme elle y était invitée, si le courtier, en affirmant inexactement à la société Lebret-Sedel que le nouveau contrat d’assurance reprenait les garanties de tous les chantiers depuis l’origine de la police antérieure et précédemment couverts par elle, n’avait pas manqué à son devoir de conseil, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »
L’obligation d’information et de conseil ne s’arrête pas à la souscription du contrat et perdure tout au long de l’exécution de celui-ci (C.Cass., Civ. 2ème, 5 juillet 2006, n°05-12603).
L’étendue de l’obligation de conseil dépend des compétences de l’assuré (C.Cass., Civ. 1ère, 17 janvier 2019, 17-31408) : « Mais attendu que l’arrêt affirme exactement que l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les besoins du client qui en est le créancier« .
Au titre de cette obligation, le courtier, comme intermédiaire d’assurance, doit veiller à proposer une offre adaptée à son client, y compris en cas d’évolution du risque (C.Cass., Civ. 2ème, 21 décembre 2006, n°06-13158 : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’assureur avait été informé de l’importante augmentation de l’activité de la clinique, sans rechercher si l’agent général avait attiré l’attention de l’assuré sur le montant de la garantie qui n’avait pas varié pour tenir compte des nouveaux risques déclarés ; la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés« ).
Reste qu’une fois (correctement) informé, le client dispose du libre choix parmi les contrats proposés, ce que rappelle l’arrêt du 7 Octobre 2020.
En l’espèce, la Société Nord Construction a recherché la responsabilité de son courtier, soutenant que
- « le courtier d’assurance, mandataire de son client, tenu de lui proposer une assurance adaptée à ses besoins, doit le conseiller utilement sur l’étendue des garanties offertes et attirer spécialement son attention, de manière circonstanciée, sur les limites qu’elles comportent au regard des risques à assurer, préalablement à la conclusion de tout nouveau contrat d’assurance, afin de lui permettre d’y consentir en parfaite connaissance de cause«
- « le courtier d’assurance demeure tenu de conseiller utilement son client sur l’étendue des garanties proposées et d’attirer spécialement son attention sur les limites qu’elles comportent au regard des risques à assurer, peu important la qualité de professionnel du client« .
La 1ère Chambre civile rejette les griefs et considère que le courtier « n’avait pas manqué à son devoir de conseil et d’information », approuvant la Cour d’appel d’avoir retenu que
- Le courtier avait proposé six contrats d’assurance à la société Equindus, holding dont dépendait la société Netco industrie
- qu’elle l’avait spécialement alertée sur le fait que les montants de garantie lui paraissaient faibles, qu’une police stipulant un plafond de garantie de 7 500 000 euros restait insuffisant pour couvrir les risques générés par son activité industrielle et qu’elle restait donc à sa disposition pour proposer des montants de garantie plus élevés.
- après avoir procédé à une consultation d’avocat pour analyser ces propositions, la société Equindus avait décidé ensuite, en toute connaissance de cause, de ne contracter des polices d’assurance qu’aux conditions de primes les moins onéreuses pour sa part, avec pour corrélatif une moindre couverture au titre des plafonds de garantie successivement souscrits et que, si la garantie souscrite était adaptée aux risques encourus, en revanche, elle ne l’était pas quant à la quantification du risque, que l’assuré, professionnel averti, est en mesure de mieux apprécier et sur laquelle le courtier avait attiré son attention.
Avec un professionnel averti, et correctement informé, tant sur les risques encourus que sur la qualification du risque, le courtier avait satisfait à son obligation.