L’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité, trouvant son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable, soit dix ans à compter de la réception, et peut être exercée contre l’assureur tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré, soit dans les deux ans de l’article L. 114-1 du code des assurances suivant la réclamation au fond de la victime auprès de l’assuré : ce délai pour agir dont dispose la victime contre l’assureur du responsable est distinct du délai biennal de l’article L. 114-1 du code des assurances régissant les seules actions dérivant du contrat d’assurance de sorte que la victime ne peut se prévaloir des causes d’interruption de la prescription prévues à l’article L. 114-2 du même Code (C.Cass., Civ. 3ème, 16/11/2022, n°21-16603)

L’alinéa 1er de l’article L. 124-3 du Code des assurances prévoit la possibilité pour la victime d’agir directement contre l’assureur du responsable : ce mécanisme de l’action directe est favorable à la victime.

Si antérieurement la Cour de cassation a conditionné le bénéfice de l’action directe à la mise en cause de l’assuré responsable (C.Cass., Civ. 1ère, 11 octobre 1994, n°92-15347), tel n’est désormais plus le cas, la Cour de cassation énonçant que « la recevabilité de l’action directe n’est pas subordonnée à l’appel en la cause de l’assuré par la victime » (C.Cass., Civ. 1ère, 7 Novembre 2000, n° 97-22582 ; C.Cass., Civ. 3ème, 15 mai 2002, 00-18541).

L’action directe bénéficie d’une certaine autonomie : l’interruption de la prescription de l’action contre l’assuré est sans incidence sur le cours de la prescription de l’action directe (C.Cass., Civ. 3ème, 18 décembre 2012, n°11-27397 n°12-10103 et n°12-11581).

Mais si la victime est privée de tout recours contre l’assuré, elle ne pourra prospérer dans son action directe contre l’assureur (C.Cass., Civ. 3ème, 3 octobre 2013, n°12-25899). Cependant la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation semble apporter un tempérament en accueillant l’action directe de la victime contre l’assureur alors que celle-ci s’était désistée de son action contre les responsables (C.Cass., Civ. 3ème, 12 juillet 2018, n°17-20696).

Reste que la computation des délais peut poser difficultés et il est important de les maîtriser.

La Cour de cassation considère que le délai de prescription de l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité est prolongé tant que celui-ci est exposé à une action, de son assuré, c’est-à-dire le temps de la prescription biennale (en ce sens : C. Cass., Civ. 1ère, 11 Mars 1986, pourvoi n° 84-14979).

Cela s’avère favorable à la victime et lui permet d’aller, théoriquement, au-delà du délai d’épreuve décennal, voire d’atteindre 12 années.

Cependant, doit être prise en compte la délivrance d’une éventuelle assignation en référé à l’assuré, car celle-ci déclenche la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances.

Ainsi, en réalité « l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré » (C.Cass., Civ. 2ème, 10 février 2011, n°10-14148 et n°10-14581 ; C.Cass., Civ. 3ème, 18 décembre 2012, n°11-27397 n°12-10103 et n°12-11581).

Récemment, la Cour de cassation a pu rappeler que l’action directe contre l’assureur  a pour point de départ de la prescription biennale à la date de l’assignation en référé délivrée à l’assuré (C.Cass., Civ. 3ème, 19 mars 2020, n°19-12800).

Cependant, et puisque la computation des délais implique de recourir à l’article L. 114-1 du Code des assurances, est-il possible de se prévaloir des causes interruptives de la prescription visées à l’article L. 114-2 du même Code ? Il faut rappeler que celui-ci énonce que :

« La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. L’interruption de la prescription de l’action peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique, avec accusé de réception, adressés par l’assureur à l’assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime et par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité »

L’intérêt de ces dispositions est de permettre une interruption de la prescription par un simple courrier recommandé avec accusé de réception.

De même, à plusieurs reprises, la Cour de cassation a déjà pu confirmer que l’effet interruptif de la prescription n’a qu’un effet relatif au bénéfice seul de celui qui en prend l’initiative. Ainsi, l’assignation en référé aux fins d’extension n’a pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne vaut que son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : C.Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771).

L’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation donne l’occasion d’examiner ces deux questions :

  • En écartant le bénéfice des dispositions de l’article L. 114-2 du Code des assurances
  • En confirmant l’effet relatif de l’assignation.

Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que

  • Mme [Z] et M. [H], propriétaires d’une maison d’habitation, se plaignant d’une fissuration généralisée consécutive à une période de sécheresse survenue en 1998 reconnue comme catastrophe naturelle, ont déclaré le sinistre à leur assureur, la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (la société GMF).
  • Des travaux confortatifs ont été exécutés en 2000, financés par la société GMF, réceptionnés le 24 novembre 2000.
  • Pour la réalisation de ces travaux, les sociétés Tercelin et Sartiges sont intervenues, toutes deux assurées auprès de la société Mutuelle des architectes français (la société MAF).
  • Après deux nouveaux épisodes de sécheresse courant 2003 puis 2008, de nouvelles fissures généralisées sont apparues donnant lieu à deux déclarations de sinistre faites par M. [H] auprès de la société GMF, laquelle a dénoncé les sinistres à la société MAF.
  • Après l’échec d’une procédure amiable d’indemnisation auprès de la société GMF, Mme [Z] a obtenu, le 15 juin 2011, la désignation d’un expert judiciaire au contradictoire de cet assureur et de M. [H].
  • La société GMF a mis en cause les sociétés Tercelin, Sartiges et la société MAF par acte du 29 février 2012, de sorte que l’expertise a été déclarée commune et opposable à ceux-ci.
  • A la suite du dépôt du rapport d’expertise, Mme [Z] a assigné, au fond, les sociétés GMF et MAF, ainsi que M. [H] aux fins d’indemnisation par les assureurs.

Par un arrêt en date du 23 Juillet 2020, la Cour d’appel de NÎMES a notamment déclaré M. [H] irrecevable en ses demandes contre la MAF, car prescrites. fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes formées contre la société MAF, aux motifs que

  • les modes d’interruption propres aux actions fondées sur le contrat d’assurance n’étaient pas applicables à l’action directe de la victime fondée sur l’article 1792 du code civil, la cour d’appel a violé l’article L. 114-2 du code des assurances
  • l’assignation délivrée par la GMF n’a pas interrompu le cours du délai imparti à Mme [Z] pour agir en justice, après avoir rappelé que le bénéfice de l’effet interruptif est réservé à celui qui diligente l’action, quand l’expertise initiale avait été déclarée commune à l’égard de toutes les parties.

Le maître d’ouvrage a formé un pourvoi, qui est rejeté par la Cour de cassation. La 3ème Chambre civile approuve dans un 1er temps la Cour d’appel d’avoir énoncé que l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité, trouvant son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrivait par le même délai que son action contre le responsable, soit dix ans à compter de la réception, et pouvait être exercée contre l’assureur tant que celui-ci restait exposé au recours de son assuré, soit dans les deux ans de l’article L. 114-1 du code des assurances suivant la réclamation au fond de la victime auprès de l’assuré. La jurisprudence est ainsi confirmée.

Puis dans un 2ème temps, elle valide la Cour d’appel qui avait retenu que ce délai pour agir dont disposait la victime contre l’assureur du responsable était distinct du délai biennal de l’article L. 114-1 du code des assurances régissant les seules actions dérivant du contrat d’assurance, avant d’en déduire à juste titre que

  • le maître d’ouvrage ne pouvait se prévaloir des causes d’interruption de la prescription prévues à l’article L. 114-2 du code des assurances,
  • l’assignation de Mme [Z] contre la société MAF était postérieure à l’expiration du délai de garantie décennale et que M. [H] ne justifiait d’aucune cause d’interruption de prescription, que leur action directe était prescrite.

Ainsi, il était important pour le maître de surveiller la computation des délais et prendre l’initiative d’interrompre la prescription contre l’assureur au titre de l’action directe.

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