L’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, ne peut être exercée contre l’assureur au-delà de ce délai que tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré (C.Cass., Civ. 3ème, 14 Septembre 2023, n° 22-21493)

A nouveau, la Cour de cassation a l’occasion de revenir sur l’intéressante question de la prescription de l’action directe contre l’assureur d’un responsable, au travers d’un arrêt en date du 14 Septembre 2023 (C.Cass., Civ. 3ème, 14 Septembre 2023, n° 22-21493), destiné à la publication au bulletin.

Ces notions reviennent régulièrement en jurisprudence et l’arrêt du 14 Septembre 2023 confirme la nécessité d’être vigilant quant à la computation des délais et la préservation des recours.

L’alinéa 1er de l’article L. 124-3 du Code des assurances prévoit la possibilité pour la victime d’agir directement contre l’assureur du responsable : ce mécanisme de l’action directe est favorable à la victime.

Si antérieurement la Cour de cassation a conditionné le bénéfice de l’action directe à la mise en cause de l’assuré responsable (C.Cass., Civ. 1ère, 11 octobre 1994, n°92-15347), tel n’est désormais plus le cas, la Cour de cassation énonçant que « la recevabilité de l’action directe n’est pas subordonnée à l’appel en la cause de l’assuré par la victime » (C.Cass., Civ. 1ère, 7 Novembre 2000, n° 97-22582 ; C.Cass., Civ. 3ème, 15 mai 2002, 00-18541).

L’action directe bénéficie d’une certaine autonomie : l’interruption de la prescription de l’action contre l’assuré est sans incidence sur le cours de la prescription de l’action directe (C.Cass., Civ. 3ème, 18 décembre 2012, n°11-27397 n°12-10103 et n°12-11581).

Mais si la victime est privée de tout recours contre l’assuré, elle ne pourra prospérer dans son action directe contre l’assureur (C.Cass., Civ. 3ème, 3 octobre 2013, n°12-25899). La Cour de cassation avait pu sembler apporter un tempérament en accueillant l’action directe de la victime contre l’assureur alors que celle-ci s’était désistée de son action contre les responsables (C.Cass., Civ. 3ème, 12 juillet 2018, n°17-20696), sous réserves de la préservation des droits de l’assureur en cas de fraude, ce qui a été rappelé tout récemment (C.Cass., Civ. 3ème, 14 Septembre 2023, n°22-13107).

Reste que la computation des délais peut poser difficultés et il est important de les maîtriser.

La Cour de cassation considère que le délai de prescription de l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité est prolongé tant que celui-ci est exposé à une action, de son assuré, c’est-à-dire le temps de la prescription biennale (en ce sens : C. Cass., Civ. 1ère, 11 Mars 1986, pourvoi n° 84-14979).

Cela s’avère favorable à la victime et lui permet d’aller, théoriquement, au-delà du délai d’épreuve décennal, voire d’atteindre 12 années.

Cependant, doit être prise en compte la délivrance d’une éventuelle assignation en référé à l’assuré, car celle-ci déclenche la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances.

Ainsi, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation a pu indiquer que  « l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré » (C.Cass., Civ. 2ème, 10 février 2011, n°10-14148 et n°10-14581 ; C.Cass., Civ. 3ème, 18 décembre 2012, n°11-27397 n°12-10103 et n°12-11581).

Récemment, la Cour de cassation a aussi pu préciser que l’action directe contre l’assureur  a pour point de départ de la prescription biennale à la date de l’assignation en référé délivrée à l’assuré (C.Cass., Civ. 3ème, 19 mars 2020, n°19-12800).

Son arrêt du 14 Septembre 2023 confirme sa jurisprudence (C.Cass., Civ. 3ème, 14 Septembre 2023, n° 22-21493) et rappelle l’effet déterminant de l’assignation en référé expertise sur la prescription biennale.

Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que

  • [W] a confié à la société Eurotoiture Franche Comté, assurée auprès de la société Groupama Grand Est, des travaux de réfection de la toiture d’un bâtiment.
  • La réception de l’ouvrage est intervenue tacitement le 4 juillet 2006.
  • Se plaignant de désordres, M. [W] a assigné la société Eurotoiture Franche Comté en référé-expertise le 4 avril 2012, puis au fond le 3 février 2016. La société Groupama Grand Est est intervenue volontairement à l’instance le 9 mars 2016.
  • [W] a formé des demandes contre la société Groupama Grand Est par conclusions notifiées le 2 mars 2017.
  • La société Eurotoiture Franche Comté a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 mai 2016 et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur
  • La Société GROUPAMA Grand Est a opposé au maître d’ouvrage une fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de celui-ci.

Par un arrêt en date du 25 Janvier 2022, la Cour d’appel de Besançon a

  • Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription
  • Condamné la société Groupama Grand Est à garantir la totalité des sommes mises à la charge de la société Eurotoiture Franche Comté hormis la somme de 480 euros par mois à compter du 1er juillet 2018 jusqu’à la réalisation des travaux nécessaires à la remise en location des appartements.

L’assureur a formé un pourvoi, invoquant une violation des dispositions de l’article 1792-4-1 du Code civil et de l’article L. 114-1 du Code des assurances.

Au titre des principes, la Cour de cassation rappelle

  • qu’en vertu des articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du Code civil, les actions du maître de l’ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l’ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.
  • sous le visa de l’article L. 124-3 du Code des assurances, que si l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, trouve son fondement dans le droit de celle-ci à obtenir réparation de son préjudice et obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l’assureur, tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré
  • selon l’article L. 114-1, alinéa 3 du Code des assurances, quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

Puis la Cour de cassation

  • Rappelle sa jurisprudence, qu’elle qualifie de « constante », selon laquelle toute action en référé est une action en justice au sens de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (Cass., Civ. 1ère, 10 Mai 2020, n°97-22651; C.Cass., Civ. 3ème, 3 Septembre 2009, n°08-18092)
  • Souligne que la qualification d’action en justice au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances n’étant pas subordonnée à la présentation d’une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l’action de l’assuré contre l’assureur
  • Précise que la qualification d’action en justice au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances n’étant pas subordonnée à la présentation d’une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l’action de l’assuré contre l’assureur.

Puis la Cour de cassation examine l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon qui

  • Enoncé que l’article L. 114-1 du code des assurances soumettant à la prescription biennale toutes les actions qui dérivent du contrat d’assurance, il autorise une prolongation du délai de prescription tant que l’assuré peut exercer un recours à l’encontre de l’assureur.
  • déduit, au titre de la garantie décennale, que le tiers lésé dispose, comme le responsable assuré, d’un délai de douze ans à compter de la réception pour agir contre l’assureur du responsable et que l’action exercée par M. [W] contre la société Groupama Grand Est par conclusions du 2 mars 2017, dans un délai de douze ans à compter de la réception du 4 juillet 2006, n’est pas prescrite.

Avant de lui reprocher d’avoir statué ainsi, sans constater qu’à la date de l’assignation délivrée par M. [W], la société Groupama Grand Est était encore soumise au recours de son assurée, qui avait été assignée en référé-expertise le 4 avril 2012. L’arrêt est donc censuré.

Alors que

  • La réception de l’ouvrage est intervenue tacitement le 4 juillet 2006.
  • La Société Eurotoiture Franche Comté a été assignée en référé-expertise le 4 avril 2012

alors le maître d’ouvrage devait former une demande contre l’assureur avant le 4 Juillet 2016, étant rappelé que la prescription biennale peut être interrompue par courrier recommandé avec accusé de réception.

La demande formulée le 4 Mars 2017 était donc tardive.

 

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