Absence de preuve par l’assuré du lien de causalité entre l’évaluation financière réalisée par l’Expert d’assureur et les conséquences financières de cette évaluation estimée tardive pour son établissement (C.Cass., Civ. 2ème, 5 Novembre 2020 – n° 19-15740)

La 2ème Chambre civile vient de prononcer un arrêt (certes non publié ; C.Cass., Civ. 2ème, 5 Novembre 2020 – n° 19-15740) mais intéressant sur le plan pratique en ce qui concerne la potentielle responsabilité d’un Expert financier missionné par un assureur, vis-à-vis de l’assuré.

Cela implique d’apprécier l’éventuelle responsabilité de l’Expert financier missionné par l’assureur. Cette responsabilité sera nécessairement délictuelle en l’absence de lien contractuel entre l’Expert et l’assuré : seul l’article 1382, devenu 1240 du Code civil peut ainsi être invoqué.

Les données de l’affaire sont relativement simples :

  • le 14 septembre 2007, un incendie dans les locaux de l’entreprise agro-alimentaire qu’exploite la société Crêperie d’Emeraude a entraîné une interruption totale d’activité jusqu’au 21 novembre 2007, avant une reprise progressive.

 

  • L’expert mandaté par la Société Crêrie d’Emeraude a évalué ses pertes d’exploitation à 1 008 348 euros
  • Sur la base de l’évaluation du Cabinet TEXA qu’elle avait missionné, la société MMA IARD, a offert une indemnité de 661 589 euros
  • la société Crêperie d’Emeraude a assigné la société MMA IARD en paiement d’une somme complémentaire,
  • la cour d’appel de Rennes, par arrêt du 4 septembre 2013, a fixée à 231 867,38 euros le montant de cette indemnité complémentaire.

Estimant que la société Texa avait, au regard des stipulations du contrat d’assurance, fautivement minoré ses pertes d’exploitation dans son évaluation au cours de la phase amiable et qu’il en était résulté pour elle un retard d’indemnisation, qui lui avait été préjudiciable, la société Crêperie d’Emeraude, après avoir obtenu la désignation en référé d’un expert judiciaire (M. G…), a assigné cette société en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de commerce de Paris.

Par un arrêt en date du 11 Décembre 2018, la Cour d’appel de PARIS a condamné la Société TEXA à verser à la société Crêperie d’Emeraude

  • une somme de 54 354,43 € au titre des frais financiers,
  • une somme de 253 110 € au titre du gain manqué sur le chiffre d’affaires non réalisé
  • une somme de 47 600 € au titre des frais d’expertise,

avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt, outre la capitalisation des intérêts échus dans les termes et conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Le raisonnement de la Cour d’appel était le suivant :

« Après avoir imputé à la société Texa d’avoir fautivement minoré, dans sa proposition d’indemnisation du 2 avril 2009, le montant des pertes d’exploitation subies par la société Crêperie d’Emeraude, d’une part, en retenant un taux de marge brute de 65, 59 % selon un mode d’évaluation non conforme aux stipulations du contrat d’assurance, d’autre part, en écartant à tort un poste de préjudice tenant à des frais supplémentaires au titre de travaux, l’arrêt retient, pour établir le lien de causalité entre ces fautes et le préjudice invoqué par la société Crêperie d’Emeraude, que « il peut être raisonnablement pensé que si une proposition plus élevée avait été faite, un accord aurait pu être conclu et formalisé dans les deux mois, soit le 31 mai 2009 », entre cette société et son assureur »

A l’appui de son pourvoi, la Société TEXA a fait valoir que le lien de causalité était purement hypothétique, que celui-ci n’était donc pas caractérisé et qu’ainsi la Cour d’appel de PARIS aurait violé les articles 1147, devenu 1221-1, et 1382, devenu 1240, du code civil.

Sous le visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, l’arrêt d’appel est censuré par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, qui énonce que :

« En se déterminant ainsi, sans justifier, autrement que par un motif hypothétique, en quoi une évaluation des pertes d’exploitation de la société Crêperie d’Emeraude selon des modalités conformes aux stipulations du contrat d’assurance, dont elle relevait qu’elles impliquaient la prise en compte d’un taux de marge brute de 69 % retenu par la cour d’appel de Rennes, aurait conduit à une offre d’indemnisation satisfaisante pour l’assurée, eu égard notamment aux prétentions que celle-ci avait formées peu après dans son assignation contre la société MMA, et, comme telle, de nature à la déterminer à conclure rapidement un accord amiable avec cet assureur, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé l’existence d’un lien de causalité certain entre la faute imputée à la société Texa et le préjudice invoqué par la société Crêperie d’Emeraude, tenant aux conséquences financières d’une indemnisation estimée tardive, n’a pas donné de base légale à sa décision »

La Cour de cassation retient donc :

  • certes le Cabinet TEXA n’avait pas retenu une évaluation des pertes d’exploitation de l’assurée selon des modalités conformes aux stipulations du contrat d’assurance, ce qui impliquait un taux de marge brute de 69 %
  • il n’est pas établi qu’une telle évaluation aurait conduit à une offre d’indemnisation satisfaisante pour l’assurée, et rapidement, d’autant plus que l’assurée avait fait délivrer peu de temps après une assignation.

Le lien de causalité n’était donc pas certain.

Il s’agit d’une question importante devant être débattue, à côté de celle de la faute de l’Expert missionné par l’assureur, la Cour de cassation ayant déjà eu l’occasion d’indiquer que :

  • « l’expert est seul tenu de réparer les dommages qu’il a pu causer par les fautes qu’il a commises dans l’accomplissement de sa mission technique en ne menant pas les investigations complémentaires qui lui auraient permis de déceler l’existence d’un vice caché » (Cass., Civ. 2ème, 5 Avril 2007, n° 05-14964)
  • « la cour d’appel a retenu, répondant aux conclusions, que M. Y… qui avait reçu mission d’éclairer la SMABTP par des investigations techniques et de proposer des remèdes propres à mettre fin aux désordres affectant la maison des époux Durand, avait omis de prendre en compte divers éléments, de sorte que les travaux de reprise n’avaient pas abouti à la stabilisation de l’ensemble de l’ouvrage (…) » (Cass., Civ. 3ème, 28 janvier 1998, n°95-17211)
  • Pour un expert en immobilier : « la faute de M. X… avait été déterminante de l’octroi d’un prêt qui n’aurait pas été consenti en connaissance de la valeur réelle de l’immeuble » (Cass., Civ. 2ème, 19 juin 2003, n°01-03639)
  • Sur la responsabilité d’un Expert judiciaire, dont le rapport, inexploitable, avait engendré des frais supplémentaires liés à la nécessité d’une nouvelle expertise judiciaire : « Qu’en statuant ainsi, tout en relevant que le rapport déposé par M. Y… était critiquable et inexploitable en ce qu’il ne permettait pas le bornage des propriétés en cause, compte tenu de ses approximations et erreurs concernant les cotes longitudinales et les points de bornage, ce dont il résultait que la saisine de la cour d’appel par M. X…, et la nouvelle mesure d’instruction ordonnée par cette juridiction étaient en relation de causalité directe et certaine avec les fautes retenues contre M. Y… dans la réalisation de la première expertise, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé » (Cass., Civ. 2ème, 13 septembre 2012, 11-16216)

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