Principe de réparation intégrale et pouvoirs du juge : la Cour de Cassation rappelle à trois occasions les limites du droit à indemnisation

Il est généralement admis que la réparation du dommage corporel relève essentiellement du pouvoir d’appréciation des juges du fond.

Dans le cadre très large du principe de réparation intégrale, d’aucuns pourraient penser que ce pouvoir n’est limité que par le montant des demandes présentées.

La Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation à l’occasion, notamment, de trois arrêts prononcés au cours du second semestre 2018, a rappelé qu’elle disposait tout de même, en la matière, d’un pouvoir régulateur pour définir, au visa du principe de réparation intégrale, les contours de la notion de réparation.

Le droit français impose de replacer la victime dans une situation identique à celle qui aurait été la sienne si l’événement dommageable n’était pas survenu.

Fiction juridique – s’il en est – notamment lorsqu’il s’agit d’indemniser les proches d’une victime décédée… Comment réparer l’irréparable ?

 

La jurisprudence a donc précisé la définition du principe de réparation intégrale et retient que la victime doit être indemnisée « sans perte », mais également « sans profit ». La Cour de Cassation reprend d’ailleurs parfois cette formule (en ce sens pour un arrêt non publié Cass Civ 2ème 18 janvier 2018 n°17-10648 au visa du « principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime »)

La juste réparation a donc pour limite l’enrichissement…

La Cour de Cassation, dans le cadre de son pouvoir régulateur, sanctionne toute décision qui aurait pour effet d’enrichir la victime en lui octroyant, sous couvert d’intitulés variés de postes d’indemnisations, la double indemnisation d’un même préjudice.

C’est ainsi que dans un arrêt du 13 septembre 2018 (n°17-26011), la deuxième Chambre Civile casse l’arrêt d’une Cour d’appel qui avait octroyé l’indemnisation de pertes de gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère ainsi qu’une indemnisation forfaitaire au titre de l’incidence professionnelle.

Au visa du principe de réparation intégrale, l’arrêt est rédigé dans les termes suivants :

« Qu’en statuant ainsi, alors que l’indemnisation de la perte de ses gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère d’une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé »

On pourrait ici déplorer une vision restrictive du poste d’incidence professionnelle. Suivant la nomenclature DINTILHAC, ce poste n’indemnise pas uniquement la perte de droits à la retraite mais également la plus grande pénibilité au travail, et la dévalorisation sur le marché du travail. En théorie, il est bien distinct des seules pertes de gains professionnels.

Mais manifestement, la Cour de Cassation entend rappeler que la nomenclature DINTILHAC n’est qu’un outil à disposition des juges. En aucune façon, cet outil ne doit faire oublier le principe de réparation intégrale et sa limite : l’enrichissement de la victime.

La dévalorisation sur le marché du travail conduisant à la situation de non emploi a pour seule conséquence patrimoniale, l’absence de perception de revenus du travail et un impact sur les droits à la retraite.

Une capitalisation viagère de cette perte de revenus suffit à replacer la victime dans une situation identique à celle qui aurait été la sienne nonobstant la survenance du fait dommageable.

 

La limite posée par la Cour de Cassation s’applique également pour les préjudices extra patrimoniaux.

Dans deux arrêts du 13 décembre 2018 (n°17-28716 et 18-10276), bénéficiant de la plus large publication, la Cour de Cassation rejette les pourvois formés par des victimes de proxénétisme aggravés qui réclamaient la prise en charge d’un préjudice exceptionnel d’avilissement subi pendant la période de prostitution forcée, distinct des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent par ailleurs également indemnisés.

Ces victimes se prévalaient de la possibilité offerte par la nomenclature DINTILHAC, d’obtenir l’indemnisation d’un préjudice permanent « exceptionnel ».

Cette catégorie de préjudice, énumérée en fin de nomenclature, dans le souci de ménager les opinions divergentes du groupe de travail, est effectivement laissée à l’appréciation des juges du fond. Il s’agit d’indemniser des préjudices « atypiques liés aux handicaps permanents dont est atteint la victime après sa consolidation »

Cette catégorie de préjudice ne doit pas faire oublier le principe fondateur d’indemnisation.

C’est ce que rappelle la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation dans ses arrêts du 13 décembre 2018 en énonçant :

« Mais attendu que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé séparément quelle que soit l’origine de ces souffrances ; qu’ayant, pour le réparer, inclus dans le poste des souffrances endurées et, après consolidation, dans celui du déficit fonctionnel permanent, le préjudice qualifié d’avilissement d’une victime de faits de prostitution forcée et de traite d’êtres humains, dont elle a relevé qu’il était lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés, c’est sans méconnaître le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que la cour d’appel, qui a ainsi exclu l’existence d’un préjudice permanent exceptionnel ou spécifique, a écarté la demande de Mme X… tendant à le voir réparer séparément ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir le grief de la seconde branche du moyen ».

Le pouvoir créateur des juges du fond que l’on aurait pu croire sans autre limite que le montant de la demande globale est donc strictement cantonné et la nomenclature DINTILHAC n’est qu’un outil qui ne doit pas permettre d’aboutir à une double indemnisation d’un même préjudice.

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