La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a, de nouveau, l’occasion de confirmer que le débat relatif au caractère endogène ou exogène du germe est inutile concernant la qualification d’infection nosocomiale, au travers de son arrêt du 4 Septembre 2024 (C.Cass., Civ. 1ère, 4 Septembre 2024, n°23-14684), tout en abordant la question de la survenue d’une affection iatrogène (c’est-à-dire les effets indésirables) dans la survenue de l’infection.
Cette qualification est importante et intéresse potentiellement « tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins » mentionné au I de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, y compris une installation autonome de chirurgie esthétique qui constitue un service de santé, de sorte que celle-ci est aussi soumise à une responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales : C.Cass., Civ. 1ère, 8 Décembre 2021, n°19-26191).
A la différence de la jurisprudence initiale du Conseil d’Etat, la Cour de cassation n’a pas distingué entre le caractère endogène (les gènes proviennent du patient lui-même) ou exogène (les germes ont une origine étrangère au patient) de l’infection (C.Cass., Civ. 1ère, 4 avril 2006, n°04-17491). Selon la Cour de cassation, seul compte le rattachement aux soins (C.Cass., Civ. 1ère, 21 juin 2005, 04-12066), sachant que si la charge de la preuve pèse sur le patient, le recours aux présomptions est possible.
Déjà, par un arrêt en date du 6 Avril 2022 (C.Cass., Civ. 1ère, 6 Avril 2022, n° 20-18513), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation avait indiqué que ne sont pas pris en compte pour la qualification d’infection nosocomiale :
- l’existence de prédispositions pathologiques (et déjà en ce sens : (Cass., Civ. 1ère, 28 Janvier 2010, n° 08-20571)
- le caractère endogène du germe à l’origine de l’infection.
De même, au travers d’un arrêt en date du 5 Juillet 2023 (C.Cass., Civ. 1ère, 5 Juillet 2023,n° 22-19474) la Cour de cassation avait été saisie de la question suivante : la qualification d’infection nosocomiale peut-elle être encore retenue si en réalité l’infection figure parmi les risques connus des suites d’une intervention chirurgicale, et donc s’avérant être potentiellement un aléa thérapeutique ? avant de donner la priorité à la qualification d’infection nosocomiale en énonçant que « l’infection causée par la survenue d’un accident médical présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge« .
L’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 4 Septembre 2024 (C.Cass., Civ. 1ère, 4 Septembre 2024, n°23-14684) est important car il est destiné à la publication et aborde l’implication d’une affection iatrogène. Les données factuelles et procédurales étaient les suivantes :
- à compter de décembre 2012, [G] [K] a été pris en charge dans un établissement de santé pour le traitement d’une leucémie aiguë de type 2.
- Après avoir subi, en mai 2013, une allogreffe de moelle osseuse, il a présenté une maladie du greffon contre l’hôte sévère et de nombreux épisodes infectieux.
- Le 15 mai 2015, il est décédé au sein du service de réanimation de l'[5].
- Après un échec de la procédure de règlement amiable et l’obtention d’une expertise en référé, ses ayants-droit ont assigné en responsabilité et indemnisation l’Institut, son assureur la SHAM devenue Relyens Mutual Insurance, et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) et mis en cause la Caisse générale de la sécurité sociale de la Martinique qui a sollicité le remboursement de ses débours.
Par un arrêt en date du 16 Février 2023, la Cour d’appel de PARIS a notamment écarté le caractère nosocomial de l’infection en retenant que
- les bactéries étaient d’origine endogène
- l’infection avait été favorisée par le traitement du patient renforçant l’immunodépression
pour rejeter les demandes des Consorts [G], ayants-droit.
Sous le visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 du code de la santé publique, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation rappelle
- selon le premier de ces textes, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
- selon le second, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les dommages résultant d’infections nosocomiales dans ces établissements, services ou organismes correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.
- Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial, une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge.
Elle confirme donc sa jurisprudence extensive avant d’énoncer que :
« Il s’en déduit que l’infection causée par la survenue d’une affection iatrogène présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge »
La sphère de la prise en charge présente un effet attractif.
Puis elle reproche à la Cour d’appel de PARIS d’avoir écarté le caractère nosocomial des infections présentées par le patient aux motifs que
- les experts ont imputé l’origine des infections à la maladie du greffon contre l’hôte qui altérait de manière profonde la barrière cutanéomuqueuse et au traitement de cette maladie par de fortes doses de corticoïdes, pourtant indispensables vu la gravité de la maladie, qui ont renforcé l’immunodépression et
- les infections ont été vraisemblablement causées par des bactéries dont le malade était porteur.
avant de lui reprocher d’avoir retenu des motifs tirés du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection, alors qu’elle avait constaté que la maladie du greffon contre l’hôte était elle-même consécutive à l’allogreffe de la moelle osseuse réalisée lors de la prise en charge du patient atteint d’une leucémie aigüe.
L’infection avait donc été contractée à l’origine de la prise en charge, soit des actes de prévention, de diagnostic ou de soins. Comme l’aléa thérapeutique est sans incidence sur le débat de l’infection nosocomiale (C.Cass., Civ. 1ère, 5 Juillet 2023,n° 22-19474), l’affection iatrogène ne permet pas l’effet exonératoire.
Avec cette conception, la Cour de cassation confirme une approche favorable aux victimes puisque :
- Les infections nosocomiales les moins graves (DFP < 26 %) peuvent donner lieu à un recours contre les établissements de santé sur la base d’un régime de responsabilité sans faute
- Le barème d’indemnisation de l’ONIAM est inférieur aux sommes susceptibles d’être obtenues de l’assureur d’un établissement de santé.