Application de la jurisprudence Czabaj aux décisions implicites de rejet : impossibilité de contester la décision implicite de rejet au-delà d’un délai raisonnable (CE, 18 Mars 2019, requête n° 417270)

L’arrêt « Czabaj » du Conseil d’Etat en date du 13 Juillet 2016 (requête n°387763) avait marqué la jurisprudence administrative, en limitant dans le temps la possibilité de contester une décision administrative nonobstant l’absence de mention des voies de recours :

« Considérant qu’aux termes de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, alors en vigueur, repris au premier alinéa de l’article R. 421-1 du code de justice administrative :  » Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.  » ; qu’il résulte des dispositions citées au point 1 que lorsque la notification ne comporte pas les mentions requises, ce délai n’est pas opposable ;

Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ;

Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance »

Cette jurisprudence avait connu ensuite de multiples déclinaisons.

A l’occasion d’un avis en date du 30 Janvier 2019 (requête n°420797), le Conseil d’Etat avait d’ailleurs précisé que cette jurisprudence s’appliquait d’ailleurs aux décisions implicites de rejet nées antérieurement au 1er janvier 2017, sauf :

  • en ce qui concerne les relations entre l’administration et ses agents
  • lorsque l’accusé de réception prévu par l’article L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration n’a pas été transmis à l’usager ou que cet accusé de réception ne porte pas les mentions prévues à l’article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.

Demeurait donc une interrogation concernant une décision implicite de rejet née postérieurement au Décret JADE et la possibilité de la contester indéfiniment dans le temps, lorsqu’aucun accusé de réception n’avait été émis.

Par son arrêt ici commenté du 18 Mars 2019, le Conseil d’Etat balance en faveur de la sécurité juridique et limite la possibilité pour l’administré de contester dans le temps une décision implicite de rejet, sous certaines conditions, dans un raisonnement en 3 temps :

Dans un 1er temps, le Conseil d’Etat rappelle les fondements textuels applicables :

 

« Aux termes de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en vigueur à la date de la première décision attaquée :  » Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d’acceptation est institué dans les conditions prévues à l’article 22, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet (…) « . Aux termes de l’article R. 421-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction alors applicable :  » Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. / Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d’un délai de deux mois à compter du jour de l’expiration de la période mentionnée au premier alinéa (…) « . Aux termes de l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 déjà citée :  » Toute demande adressée à une autorité administrative fait l’objet d’un accusé de réception délivré dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. (…) / Les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications prévues par le décret mentionné au premier alinéa. ( …) « . Aux termes de l’article 1er du décret du 6 juin 2001 pris pour l’application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives, en vigueur à la date de la décision attaquée et dont les dispositions sont désormais reprises à l’article R. 112-11-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » L’accusé de réception prévu par l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 susvisée comporte les mentions suivantes : 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; / 2° La désignation, l’adresse postale et, le cas échéant, électronique, ainsi que le numéro de téléphone du service chargé du dossier. / L’accusé de réception indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d’acceptation. Dans le premier cas, l’accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision. Dans le second cas, il mentionne la possibilité offerte au demandeur de se voir délivrer l’attestation prévue à l’article 22 de la loi du 12 avril 2000 susvisée  »

Il conclut donc « qu’en l’absence d’un accusé de réception comportant les mentions prévues par ces dernières dispositions, les délais de recours contentieux contre une décision implicite de rejet ne sont pas opposables à son destinataire« . Il s’agissait là du régime juridique applicable antérieurement. L’Administration ne pouvait se prévaloir des délais de recours faute de les avoir précisés à son Administré.

Dans un 2ème temps, le Conseil d’Etat rappelle le principe de sécurité tiré de sa jurisprudence « Czabaj » et son application aux décisions expresses individuelles omettant de rappeler les délais et voies de recours :

« Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance »

 

Le délai de recours est donc d’un an à compter :

  • soit de la notification de la décision individuelle, ne comportant pas la mention des voies de recours
  • soit de la connaissance par l’administré de cette décision (hypothèse où la décision ne lui a pas été notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception).

Dans un 3ème temps, le Conseil d’Etat applique plus particulièrement sa jurisprudence aux décisions implicites de rejet : le silence total de l’Administration (pas de réponse, pas d’accusé de réception de la demande rappelant les délais et voies de recours…). Le Conseil d’Etat indique ainsi :

« Les règles énoncées au point 3, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d’une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d’une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu’il est établi, soit que l’intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l’administration, notamment à l’occasion d’un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s’il n’a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 2, dispose alors, pour saisir le juge, d’un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l’événement établissant qu’il a eu connaissance de la décision »

Ainsi, concernant une décision implicite de rejet, le délai de recours d’un an (sauf exceptions) court :

  • soit à compter de la date de naissance de la décision implicite (s’il est établi que « l’intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande« )
  • soit à compter de la date de l’évènement établissant qu’il a eu connaissance de la décision (par exemple un courrier de sa part adressé à l’Administration).

Il convient donc dès lors d’être particulièrement vigilant car le moyen tiré de la tardiveté de la requête est un moyen d’ordre public, susceptible en conséquence d’être soulevé d’office par la Juridiction. En application de l’article R. 611-7 du Code de justice administrative, la Juridiction doit alors inviter les parties à formuler les observations.

En l’espèce la Cour administrative d’appel est censurée pour avoir soulevé d’office ce moyen :

  • pour ne pas avoir invité les parties à faire valoir les observations conformément à l’article R. 611-7 du Code de justice administrative
  • pour ne pas avoir recherché si l’administré avait eu connaissance de la décision implicite de rejet, conformément au nouveau principe dégagé.

La procédure administrative se complexifie encore davantage et il convient d’être particulièrement vigilant dans la computation des délais de recours, sous peine de voir sa requête purement et simplement rejetée.

 

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