Responsabilité d’un établissement de santé lors de la perte d’un dossier médical : perte de chance pour le patient de prouver la faute du praticien exerçant à titre libéral à l’origine de son entier dommage corporel (C.Cass., Civ. 1ère, 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-20143)

Un arrêt (C.Cass., Civ. 1ère, 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-20143) publié au Bulletin de la Cour de cassation du 1er Février 2019 rappelle les obligations pesant sur les établissements de santé en matière de conservation du dossier médical, et surtout, précise les conditions dans lesquelles une victime peut obtenir une indemnisation en cas de perte, lorsque celle-ci prive le patient de la possibilité  de rapporter la preuve d’une faute imputable au praticien exerçant à titre libéral, à l’origine de son entier préjudice.

 

La solution dégagée est rigoureuse pour les établissements de santé et doit les amener à faire preuve de diligence et de vigilance dans la conservation du dossier médical du patient. Alors que le praticien exerçant à titre libéral doit supporter seul les fautes à l’origine de l’entier préjudice du patient (en ce sens : Civ. 1ère, 26 Mai 1999, pourvoi n° 97-15608 ; Civ. 1ère, 20 Janvier 2011, pourvoi n°09-68042), et que l’établissement de santé pouvait espérer une mise hors de cause totale, c’est finalement celui-ci qui verra sa responsabilité recherchée en cas de perte du dossier médical, offrant au patient une solution de secours pour obtenir une indemnisation – certes partielle – de ses préjudices. Il ne pourra échapper à cette responsabilité qu’en rapportant la preuve qu’aucune faute n’a été commise par le praticien en question, ce qui, sans dossier médical, s’avèrera une mission périlleuse pour ne pas dire impossible.

 

Déjà, en 2012, la Cour de cassation avait pu retenir une présomption de responsabilité à l’encontre d’un établissement de santé qui n’avait pas été en mesure de communiquer « l’enregistrement du rythme fœtal pendant plusieurs minutes » lors d’un accouchement, estimant que la clinique ne rapportait pas la preuve que « n’était survenu aucun événement nécessitant l’intervention du médecin obstétricien« , avant de retenir la faute de celle-ci (C.Cass., Civ. 1ère, 13 décembre 2012, pourvoi n°11-27347)

 

Dans l’arrêt ici commenté, la Cour de cassation estime en effet qu’en raison de cette perte, le patient victime est privé de la possibilité d’engager la responsabilité du praticien fautif.

 

Le droit à indemnisation n’est cependant pas total puisque la Cour de cassation se place sur le terrain de la perte de chance, la Juridiction suprême précisant que l’évaluation de cette perte de chance relève de l’appréciation souveraine des Juges du fond. Soulignons au passage qu’il ne s’agit pas de la notion de perte de chance classiquement rencontrée en droit de la responsabilité médicale, puisqu’il n’est fait aucun lien entre l’acte médical et le dommage survenu.

 

Cela suppose dans un premier temps de liquider les préjudices du patient. En cela, le recours à une expertise judiciaire, au contradictoire de l’établissement de santé, sera un préalable fort utile afin d’évaluer chaque poste de préjudice.

 

Dans un deuxième temps, le débat portera sur l’évaluation de cette perte de chance. La Cour de cassation ne donne pas de grille de lecture pour la détermination de cette perte de chance, se retranchant derrière l’appréciation souveraine des Juges du fond. Il est permis de supposer que plus la faute du praticien apparaît patente – ou logique – plus cette perte de chance sera importante.

 

La solution dégagée est favorable aux victimes d’accidents médicaux en leur offrant une voie subsidiaire pour obtenir indemnisation. La solution dégagée est en revanche sévère avec les établissements de santé qui supporteront in fine les conséquences de manquements potentiellement imputables à un praticien libéral. Elle est d’autant plus sévère qu’il ne peut être exclu que certains demandeurs auraient été déboutés de leur action en l’absence de caractérisation d’une faute au sens de l’article L. 1142-1, I du Code de la santé publique (toute erreur n’étant pas nécessairement fautive), et qu’en l’absence de dossier médical, cette question ne pourra être tranchée… Le patient sera alors indemnisé là où une action au fond contre le praticien libéral aurait échoué.

 

Il convient de rappeler que la conservation du dossier médical d’un patient est notamment régie par l’article R. 1112-7 du Code de la santé publique, qui exige la conservation du dossier médical du patient pendant une durée de 20 ans. En cas de décès du patient, le dossier ne peut être détruit avant un délai de 10 ans à compter du décès du patient.

 

Ce délai de 20 ans est le minimum réglementaire. En cas de réclamation indemnitaire d’un patient, et au vu du risque d’une action en aggravation, les établissements de santé seront prudents en conservant au-delà de cette durée les dossiers médicaux, devenus sensibles.

 

Ces délais de conservation sont d’ailleurs suspendus dès l’introduction d’un « recours gracieux ou contentieux tendant à mettre en cause la responsabilité médicale de l’établissement de santé ou de professionnels de santé à raison de leurs interventions au sein de l’établissement« .

 

Rappelons enfin que les éléments devant être conservés au dossier médical sont précisés à l’article R. 1112-2 du Code de la santé publique. Si la perte d’un de ces éléments devait survenir, et qu’il s’avère que cette perte prive le patient de la possibilité d’engager la responsabilité du praticien en question, la responsabilité de l’établissement pourra être recherchée.

 

Les établissements de santé en question devront donc être prudents, afin d’éviter de se trouver en difficultés en étant contraint de rapporter la preuve de l’absence de faute médicale, fort compliquée en l’absence du dossier médical.

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