Par un arrêt publié au Bulletin (C.Cass., Civ. 2ème, 18 Septembre 2025, n°24-10165), la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation donne l’occasion de revenir sur une question importante en droit des assurances, avec un enjeu concret majeur.
En application de l’article L. 241 et de l’Annexe n°II de l’article A. 243-1 du code des assurances, l’assureur à la date des travaux doit sa garantie pour toute condamnation au titre des travaux de reprise, sur le fondement décennal.
En outre, en vertu de l’annexe 1 à l’article A 243-1 du Code des assurances, l’assureur décennal doit garantir les dommages matériels liés aux travaux de réparation réalisés sur l’ouvrage affecté de désordres.
En dehors de ces hypothèses, seule l’éventuelle garantie responsabilité civile souscrite le cas échéant par un constructeur peut entrainer la mobilisation de la garantie de l’assureur à la date de la réclamation (et non à la date des travaux ou DOC).
C’est ainsi que ne peuvent être garantis par l’assureur décennal les dommages immatériels (C.Cass., Civ. 3ème, 11 Février 2014, n°12-35323 ; C.Cass., Civ. 3ème, 5 Décembre 2019, n°18-20181 ; C.Cass., Civ. 3ème, 5 Mars 2020, n°18-15164).
Il en va également de même concernant les désordres susceptibles de relever de la garantie des vices intermédiaires (régime de responsabilité pour faute prouvée, exclusif de toute obligation de résultat, pouvant concernant les désordres qui n’atteignent pas le critère de gravité décennale).
En retour, hors assurance obligatoire, seules peuvent éventuellement être mobilisées les garanties de l’assureur responsabilité civile professionnelle, déclenchée selon l’article L. 124-5 du Code des assurances, qui prévoit que « la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation ».
Lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, le 3ème alinéa de l’article L. 124-5 du Code des assurances prévoit que « la garantie déclenchée par la réclamation couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l’assuré ou à son assureur entre la prise d’effet initiale de la garantie et l’expiration d’un délai subséquent à sa date de résiliation ou d’expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres« .
L’alinéa 4 ajoute que :
« Le délai subséquent des garanties déclenchées par la réclamation ne peut être inférieur à cinq ans. Le plafond de la garantie déclenchée pendant le délai subséquent ne peut être inférieur à celui de la garantie déclenchée pendant l’année précédant la date de la résiliation du contrat. Un délai plus long et un niveau plus élevé de garantie subséquente peuvent être fixés dans les conditions définies par décret« .
L’article R. 124-4 du Code des assurances précise aussi que :
« Le plafond applicable à la garantie déclenchée dans le délai subséquent mentionné aux quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 124-5 est unique pour l’ensemble de la période, sans préjudice des autres termes de la garantie ou de stipulations contractuelles plus favorables. Il est spécifique et ne couvre que les seuls sinistres dont la garantie est déclenchée pendant cette période.
Il ne peut être inférieur à celui de la garantie déclenchée pendant l’année précédant la date de sa réalisation ou de son expiration. Il peut être reconstitué au gré des parties.
Le contrat précise les conditions d’application du plafond de garantie »
En vertu du 8° de l’article R. 124-2 du Code des assurances, le délai minimal de la garantie subséquente est porté à 10 ans.
C’est précisément sur la question de ce plafond que revient l’arrêt publié du 18 Septembre 2025 (C.Cass., Civ. 2ème, 18 Septembre 2025, n°24-10165).
Il sera toujours nécessaire préalablement de déterminer qui est l’assureur tenu au titre de la garantie subséquente, surtout que par un arrêt publié du 12 Octobre 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 12 Octobre 2022, n° 21-21427), la Cour de cassation a indiqué que lorsque l’assuré a eu connaissance du dommage postérieurement à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie d’un premier contrat en base réclamation, la souscription de la même garantie en base réclamation auprès d’un second assureur met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attachée au contrat initial.
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
- Une société a acquis par l’intermédiaire d’une conseillère en gestion de patrimoine, Madame [F] suivant convention dénommée « Amadeus », une collection de manuscrits auprès de la société Aristophil au prix de 500 000 euros et conclu avec cette société une convention de garde et de conservation de cette collection pour une durée de cinq années.
- Les 16 février et 5 août 2015, la société Aristophil a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.
- Après avoir obtenu la restitution des oeuvres et manuscrits dont la valeur fut estimée à dire d’expert entre 42 700 et 58 500 euros, la société les a vendus aux enchères publiques au prix de 40 200 euros.
- Reprochant à la conseillère en gestion de patrimoine un manquement à son obligation d’information et de conseil, la société a assigné celle-ci ainsi que son assureur, la société CNA Insurance Company Limited en réparation de son préjudice.
L’assureur a notamment opposé
- En raison de la résiliation de son contrat au 1er Janvier 2013
- Le plafond unique de 2 000 000 € pour la période du 1er Janvier 2013 au 1er Janvier 2018.
Par un arrêt en date du 25 Septembre 2023, la Cour d’appel de NANCY a condamné la Société CNA à à garantir Mme [F] du paiement des condamnations prononcées contre elle, après application de la franchise de 3 000 euros au bénéfice de l’assureur, « dans la limite du plafond de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées à l’encontre de quelque tiers que ce soit au titre des réclamations formulées au titre de la police n° 1549 pour l’année 2016 ».
L’assureur a formé un pourvoi.
Sous le visa de l’article R. 124-4 du Code des assurances, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu’il « résulte de ce texte qu’en matière de garantie déclenchée par la réclamation, les sinistres donnant lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent à la date de résiliation du contrat sont soumis à un plafond de garantie unique pour l’ensemble de la période subséquente, d’un montant au moins égal au plafond en vigueur durant l’année précédant la résiliation du contrat, sauf stipulations contractuelles plus favorables« .
Puis elle relève que la Cour d’appel a retenu que
- le plafond de garantie prévu au contrat s’applique à la période du sinistre, soit du 1er janvier au 31 décembre 2016.
- en conséquence, la garantie de l’assureur est due sous réserve du plafond de garantie de 2 000 000 euros applicable à toutes les condamnations prononcées au titre des réclamations formulées pour l’année 2016
avant de censurer pour violation de l’article R. 124-4 du Code des assurances puisque sauf stipulations plus favorables du contrat d’assurance, le plafond de garantie en cause couvre l’ensemble des sinistres ayant donné lieu à une réclamation formée durant le délai subséquent, soit entre l’espèce, entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017.
Ainsi, devant la Cour de renvoi, l’assureur pourra opposer ce plafond unique, déduction faite des indemnités éventuellement déjà versées au titre d’autres réclamations présentées durant la garantie subséquente. Le risque pour l’assuré et le tiers victime réside dans l’épuisement de ce plafond. Premier arrivé, premier servi.
La charge de la preuve de l’épuisement de ce plafond pèse sur l’assureur.
Il est important de rappeler au passage que
- la Cour de cassation a énoncé que « pour les garanties facultatives, les plafonds prévus au contrat sont opposables aux tiers lésés » (Cass., Civ. 3ème, 12 Octobre 2017, n°16-14104), de sorte que ce plafond unique leur sera aussi opposable
- même si le contrat a été résilié pour non-paiement de prime en vertu de l’article L. 113-3 du Code des assurances, la garantie subséquente est susceptible d’être mobilisée en application de l’article L. 124-5 du code des assuranceslorsque le fait engageant la responsabilité de l’assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur, peu important que la première réclamation n’ait été effectuée qu’après la résiliation du contrat, dans le délai de garantie subséquente (Cass., Civ. 2ème, 12 Décembre 2019, n°18-12762 ; C.Cass., Civ. 3ème, 4 Mars 2021, n°19-26333).