L’atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n’impliquait pas, est fautive en l’absence de preuve par celui-ci d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l’aléa thérapeutique : cette présomption de faute suppose néanmoins qu’il soit tenu pour certain que l’atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical (C.Cass., Civ. 1ère, 26 Février 2020, n° 19-13423)

La Loi du 4 Mars 2002 a rappelé que la responsabilité du professionnel de santé est, en principe, une responsabilité pour faute, la charge de la preuve pesant sur la partie demanderesse.

La preuve d’une faute peut s’avérer difficile dans certaines hypothèses, et notamment lors de lésions d’organes étrangers à l’intervention chirurgicale.

La Cour de cassation a pu apporter dans cette hypothèse une solution favorable au patient.

Dans un arrêt du 23 Mai 2000 (C.Cass., Civ. 1ère, 23 Mai 2000, n° 98-20440), elle a ainsi considéré qu’une faute était caractérisée de la part du médecin stomatologiste puisque :

  • la réalisation de l’extraction n’impliquait pas l’atteinte du nerf sublingual
  • il n’était pas établi que le trajet de ce nerf aurait présenté chez sa patiente une anomalie rendant son atteinte inévitable.

Une telle approche fut également retenue pour des « des cicatrices labiales importantes ainsi qu’une altération du nerf mentonnier droit » survenues consécutivement à l’extraction de dents de sagesse » (C.Cass., Civ. 1ère, 9 octobre 2001, n°99-20826) :

« Attendu que la cour d’appel (Aix-en-Provence, 9 septembre 1999), statuant par motifs propres et adoptés, a constaté qu’à l’occasion de l’extraction de dents de sagesse, M. X…, chirurgien-dentiste, avait provoqué chez sa patiente, Mme Y…, des cicatrices labiales importantes ainsi qu’une altération du nerf mentonnier droit ; que dès lors que la réalisation des extractions n’impliquait pas ces atteintes labiales et neurologiques, la cour d’appel, qui n’encourt pas les griefs du moyen, a pu décider que le praticien, tenu d’une obligation de précision du geste de chirurgie dentaire, avait commis une faute dans l’exécution du contrat le liant à sa patiente »

Ultérieurement, toujours au sujet de lésions à un organe ou un tissu à l’occasion d’une intervention, la Cour de cassation a semblé revenir sur cette jurisprudence, en approuvant une Cour d’appel d’avoir pu déduire de ses constatations que l’atteinte survenue dont le risque était inhérent à la technique utilisée ne pouvait être imputée à faute au praticien (C.Cass., Civ. 1ère, 29 novembre 2005, n°03-16308).

Sur la base d’un rapport d’expertise, la Cour d’appel avait pu constater que :

  • la section survenue constituait une complication connue de ce type de chirurgie endoscopique
  • l’intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées
  • la tactique du praticien avait été raisonnable au vu des difficultés rencontrées
  • aucune erreur, imprudence, manque de précaution nécessaire, négligence ou autre défaillance fautive ne pouvait être retenue à son encontre compte tenu du rétrécissement du champ visuel du chirurgien propre à l’endoscopie et de l’emploi de longs instruments, comme des variations anatomiques d’un sujet à l’autre.

Par cette approche, se rapprochait la notion d’aléa thérapeutique. Mais alors surgissait les critères de l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique.

En 2008, la Cour de cassation est revenue à la notion de présomption d’imputabilité pour faire droit à la demande d’indemnisation dirigée contre son chirurgien-dentiste, qui avait lésé le nerf lingual à l’occasion de l‘extraction d’une dent de sagesse (C.Cass., Civ. 1ère, 17 janvier 2008, n°06-20568). La Cour d’appel est approuvée d’avoir pu « déduire l’imputabilité du dommage à l’imprécision du geste médical« , après avoir constaté que :

  • « l’extraction de la dent de sagesse n’impliquait pas les dommages subis par la patiente » et d’en déduire en faveur de celle-ci « une présomption d’imputabilité du dommage à un manquement fautif du praticien« 
  • Le chirurgien – dentiste « ne démontrait pas que le trajet du nerf lésé présentait une anomalie rendant son atteinte inévitable« 

Dès lors, pour s’exonérer de sa responsabilité, le praticien doit démontrer rapporter la preuve (difficile surtout a posteriori) de l’anomalie du nerf lésé.

La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a explicité sa position par un arrêt, indiquant que « dans le cas d’une atteinte à un organe ou un tissu que l’intervention n’impliquait pas, une faute du chirurgien peut être écartée par la preuve de la survenance d’un risque inhérent à l’intervention ne pouvant être maîtrisé et relevant de l’aléa thérapeutique » (C.Cass., Civ. 1ère, 4 octobre 2017, 16-24159) et reprochant à la Cour d’appel d’avoir déduit « l’existence d’une faute imputable au praticien de l’absence de preuve par celui-ci d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable« .

Par son arrêt du 26 Février 2020 (C.Cass., Civ. 1ère, 26 Février 2020, n°19-13423), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation vient apporter des précisions utiles sur les conditions d’application de ce régime de présomption favorable à la victime.

Sur le plan factuel, il convient de retenir que

  • après avoir été opéré, le 9 juin 2005, d’une hernie discale C6C7 par M. D., (le chirurgien), exerçant son activité à titre libéral au sein de la Clinique des Flandres, M. V. a présenté une contusion médullaire et conservé des séquelles.
  • A l’issue d’une expertise ordonnée en référé, il a, avec son épouse, Mme V., et leurs enfants, Alexandre et Romain (les consorts V.), assigné M. D. en responsabilité et indemnisation et mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie des Flandres, de Dunkerque et d’Armentières (la caisse) qui a demandé le remboursement de ses débours.
  • Une seconde expertise a été ordonnée avant dire droit par les premiers juges et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) a été appelé en cause.

Par un arrêt en date du 10 Janvier 2019, la Cour d’appel de DOUAI a retenu la responsabilité du chirurgien, estimant que

  • celui-ci ne démontre pas l’une des occurrences qui lui permettraient de renverser la présomption de faute pesant sur lui, soit l’existence d’une anomalie morphologique rendant l’atteinte inévitable ou la survenance d’un risque inhérent à l’intervention qui, ne pouvant être maîtrisé relèverait de l’aléa thérapeutique.
  • la circonstance que l’un des experts ait évoqué plusieurs explications et causes possibles de cette contusion ne permet pas d’identifier ni d’expliciter de manière objective et certaine le risque inhérent à l’opération pratiquée, rendu non maîtrisable au point qu’il relèverait de l’aléa thérapeutique.

A l’appui de son pourvoi, le chirurgien a reproché à la Cour d’appel d’avoir

  • fondé sa décision sur le postulat d’une présomption de responsabilité pesant sur le chirurgien
  • inversé la charge de la preuve
  • violé ainsi l’article 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

Sous le visa :

  • de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1, du code de la santé publique
  • de l’article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016

la Cour de cassation va énoncer que :

  • Selon le premier de ces textes, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
  • Dès lors que ceux-ci sont tenus d’une obligation de moyens, la preuve d’une faute incombe, en principe, au demandeur.
  • Cependant, l’atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n’impliquait pas, est fautive en l’absence de preuve par celui-ci d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l’aléa thérapeutique.
  • Mais l’application de cette présomption de faute implique qu’il soit tenu pour certain que l’atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical.

La Cour de cassation confirme donc explicitement la mise en place d’un régime de présomption de faute (et non de présomption d’imputabilité comme évoqué dans ses précédentes décisions) : le chirurgien est présumé avoir commis une faute lorsqu’il porte atteinte à un organe ou un tissu que son intervention n’impliquait pas, sauf s’il rapporte la preuve :

  • Soit d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable
  • Soit d’un risque inhérent à cette intervention (mais alors prudence, car se posera la question du respect de son devoir d’information).

Pour bénéficier de ce régime de présomption de faute, le patient doit cependant prouver préalablement que l’atteinte a été causée par ce chirurgien.

En l’espèce, c’est sur ce point que la Cour d’appel de DOUAI est censurée. La Cour de cassation lui reproche d’avoir « présumé l’existence d’une faute, sans avoir préalablement constaté que le chirurgien avait lui-même, lors de l’accomplissement de son geste, causé la lésion« .

L’imputabilité sera plus facilement établie en cas d’intervention unique qu’en présence d’interventions successives multiples, sauf à ce que la Cour de cassation reprenne sa jurisprudence relative aux infections nosocomiales (responsabilité partagée entre plusieurs établissements sauf à ce que l’un d’entre eux rapporte la preuve que l’infection n’a pas pu être contractée dans ses locaux : C.Cass., Civ.1ère, 17 juin 2010, n°09-67011), mais qu’elle a pu écarter pour un oubli de compresse (C.Cass., Civ. 1ère, 3 novembre 2016, n°15-25348).

De même, la survenance d’une lésion devra être discutée plus spécialement en cas d’intervention post-traumatique.

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