La cour d’appel, qui a relevé que la SCI ne démontrait pas avoir subi des inondations avant l’expiration du délai d’épreuve ni fait l’objet d’une injonction de l’administration aux fins de démolition ou de mise en conformité, a pu en déduire que le risque d’inondation mentionné au rapport d’expertise judiciaire ne constituait pas un dommage relevant de la garantie décennale (C.Cass., Civ. 3ème, 26 Juin 2025, n°23-18306)

Le régime de la responsabilité décennale, prévu aux articles 1792 et  suivants du Code civil, impose de démontrer l’exigence d’un désordre d’une certaine gravité, c’est-à-dire

  • Soit entrainant une impropriété à destination de l’ouvrage pris dans son ensemble
  • Soit une atteinte à la solidité de l’ouvrage.

Le désordre qui ne dépasse pas ce seuil de gravité peut relever de la garantie des vices intermédiaires (hors assurance obligatoire), mais à la condition de rapporter la preuve d’une faute (C.Cass., Civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-22748 : le constructeur n’est pas tenu d’une obligation de résultat ; C.Cass., Civ. 3ème, 14 mai 2020, 19-12988).

Se pose malgré tout la question de la date à laquelle le désordre atteint le seuil de gravité décennale.

La Cour de cassation exige la preuve de ce que la perte de l’ouvrage interviendra effectivement avant l’expiration du délai d’épreuve décennale (C.Cass., Civ. 3ème, 23 octobre 2013, n°12-24201).

L’approche sera différente selon que le Juge judiciaire statue avant ou après l’expiration du délai d’épreuve décennale, mais l’aggravation survenue postérieurement à l’expiration de ce délai ne peut aider le maître d’ouvrage.

  • par un arrêt en date du 28 Février 2018 (Cass., Civ. 3ème, 28 Février 2018, n°17-12460), la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel d’avoir retenu le fondement décennal avec « la circonstance que l’expert a affirmé la certitude de la survenance, à court terme, d’un désordre est suffisante à engager la responsabilité décennale du constructeur» tout en constant que « qu’à la date de la réunion d’expertise du 3 octobre 2011, il n’existait pas de désordre, l’écoulement des eaux dans les réseaux étant satisfaisant, qu’au jour du dépôt du rapport définitif, il n’apparaissait aucun désordre et que l’expert judiciaire n’avait caractérisé aucun dommage existant, au sens de l’article 1792 du code civil« .
  • par un arrêt en date du 29 Janvier 2003 (Cass., Civ. 3ème, 29 Janvier 2003, n° 01-14698), la Cour de cassation avait pu estimer que « Mais attendu qu’ayant constaté que rétention n’équivallait pas à pénétration ou infiltration d’eau dans les pièces à hauteur desquelles se situait le phénomène en façade et constaté que l’impropriété, même à venir à plus ou moins long terme, de l’immeuble à sa destination n’était pas démontrée, la cour d’appel a exactement retenu que, faute de gravité suffisante, les désordres allégués consistant en des traces de taches sur la façade ne relevaient pas de la garantie décennale et a pu en déduire, abstraction faite d’un motif surabondant concernant la date d’exécution des travaux du sous-traitant, qu’eu égard à l’article 3, alinéa 5, du titre I du contrat d’assurance responsabilité décennale souscrit par la société Sodibat, la garantie de la compagnie Générali n’était pas acquise»

Le Juge judiciaire retient cependant plusieurs exceptions

La charge de la preuve du caractère décennal pèse sur le maître d’ouvrage demandeur : c’est lui en principe qui doit prouver que le désordre atteindra le seuil de gravité décennale avant l’expiration du délai de 10 ans courant à compter de la réception (C.Cass., Civ. 3ème, 4 Mars 2021, n° 19-20280). Il doit alors souvent compter sur le rapport d’expertise judiciaire, à condition que cette question ait été posée, qui peut s’avérer utile pour retenir le fondement décennal, la Cour de cassation ayant déjà pu retenir que :

  • les désordres, qui relevaient d’un processus de décomposition décrit par l’expert judiciaire comme étant à évolution rapide et non susceptible de se stabiliser dans le temps, en privant dans le délai décennal les couvertures de leur fonction d’étanchéité à l’air, rendaient les maisons impropres à leur destination (Cass., Civ. 3ème, 25 Juin 2020, n° 19-15610)
  • la corrosion des armatures de la dalle de parking, qui s’était manifestée dans le délai décennal, entraînait une perte de résistance du dallage et une atteinte à la solidité du bâtiment, impliquant l’application de la garantie décennale (Cass., Civ. 3ème, 19 Janvier 2022, n° 20-21355)

Il faut cependant que les conclusions de l’Expert judiciaire soient étayées. Les certitudes de l’Expert judiciaire ne peuvent suffire pour démontrer que « les désordres devaient atteindre de manière certaine, dans les dix ans après la réception de l’ouvrage, la gravité requise pour la mise en œuvre de la garantie décennale » alors que l’Expert judiciaire avait conclu que « compte tenu des non-conformités relevées, il est certain que des défauts d’étanchéité avec dégâts des eaux dans les pièces habitables apparaîtront inéluctablement lors des pluies intenses avec bourrasques de vent » (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Septembre 2022, n°21-15455).

C’est donc sur ces questions importantes que la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir par son arrêt du 26 Juin 2025 (C.Cass., Civ. 3ème, 26 Juin 2025, n°23-18306).

Sur le plan factuel, une SCI a fait construire un local commercial et industriel, occupé après son achèvement par la société Serv’auto, gérée par M. et Mme [P].

Sont intervenues à l’opération de construction :

  • la société Atlantic design construction France, pour la maîtrise d’œuvre,
  • la société Dilmex, assurée auprès de la société Axa France IARD, pour les travaux de terrassement-VRD
  • la société Bernadet construction, assurée auprès des MMA IARD, pour la maçonnerie et le gros œuvre
  • la société Siba, sous-traitante de la société Bernadet construction, pour le dallage.

 

Après expertise, la SCI, M. et Mme [P] et la société Serv’auto ont assigné la société Atlantic design construction France, la société Dilmex et son assureur, la société Bernadet construction et ses assureurs en indemnisation de leurs préjudices, invoquant notamment le fondement décennal pour un risque d’inondation et de démolition sur décision de l’autorité administrative. La société Atlantic design construction France a appelé en garantie son assureur, la société Axa France IARD.

Par un arrêt en date du 9 Mai 2023, la Cour d’appel de PAU a rejeté les demandes de la SCI, estimant qu’il s’agissait uniquement d’un désordre futur, dès lors que

  • l’expert fait état uniquement d’un risque d’inondation et d’un risque de demande de démolition et de réfection de la part des pouvoirs publics »
  • « le dommage ne s’ét(ait) pas produit dans le délai d’épreuve de dix ans

La SCI a formé un pourvoi

  • se fondant sur le rapport de l’Expert judiciaire avait conclu concernant le désordre n° 2.2, que « ce désordre rendait impropre l’ouvrage à sa destination dès lors que : – la démolition et la réfection conforme du réseau d’eaux pluviales pouvait être exigée par les pouvoirs publics, – l’absence d’alimentation électrique de secours du relevage des eaux peut en entraîner l’arrêt et une élévation de l’eau sur le parking qui sera susceptible de pénétrer dans les locaux »
  • soutenant que le désordre serait actuel.

La Cour de cassation rejette cependant, approuvant la Cour d’appel qui a

  • relevé que la SCI ne démontrait pas avoir subi des inondations avant l’expiration du délai d’épreuve ni fait l’objet d’une injonction de l’administration aux fins de démolition ou de mise en conformité
  • pu en déduire que le risque d’inondation mentionné au rapport d’expertise judiciaire ne constituait pas un dommage relevant de la garantie décennale.

Il était donc important de débattre de ces notions tant au stade de l’expertise judiciaire qu’au travers des conclusions au fond. Le risque doit être réel et établi.

Concernant le Juge administratif, il faut rappeler que le Conseil d’Etat adopte une acceptation beaucoup plus large du désordre futur, retenant le fondement décennal dès lors que le désordre remplira, à terme, le critère de gravité. Il suffit donc que le désordre soit inéluctable (CE, 31 Mai 2010,  n°317006 ; CE, 15 Avril 2015, n°376229).

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