Création jurisprudentielle, la condamnation in solidum représente une obligation utile pour tout créancier qui entend bénéficier de recours solvable. En retour, pour les débiteurs tenus au titre d’une obligation in solidum, elle implique la plus grande vigilance pour éviter de régler plus que la seule part qui leur incombe.
L’obligation in solidum trouve principalement à s’appliquer en matière de responsabilité civile. Si l’obligation solidaire concerne les parties contractuellement liées (par exemple dans un groupement de constructeurs ou un groupement de maîtrise d’œuvre), l’obligation in solidum s’applique entre parties non liées contractuellement.
Elle permet à un créancier (notamment un maître d’ouvrage) de solliciter l’un quelconque des responsables condamnés pour le paiement de la totalité de la dette, même si celui-ci se trouve ensuite privé de recours solvables contre les co-débiteurs, en raison de la disparition ou de l’insolvabilité de ceux-ci.
L’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 30 Avril 2025 (C.Cass., Civ. 3ème, 30 Avril 2025, n°23-21040) permet de rappeler les conditions de l’obligation in solidum et de l’obligation à la dette. L’obligation in solidum n’étant pas automatique, au vu de ses enjeux, elle doit être débattue tant devant l’Expert judiciaire que devant le Juge du fond.
Pour qu’il y ait condamnation in solidum, il faut un cumul de responsabilités, celles-ci pouvant être diverses : responsabilité délictuelle, responsabilité contractuelle ou encore responsabilité décennale. Ainsi, un régime de responsabilité sans faute (responsabilité décennale, responsabilité du fait des choses…) peut se cumuler avec une responsabilité pour faute (responsabilité contractuelle, responsabilité délictuelle). Il importe peu que le maître d’œuvre soit forclos pour agir contre certains responsables dès lors qu’il est recevable à agir contre l’un seul d’entre eux (C.Cass., Civ. 3ème, 5 juillet 2000, n°98-20914), à charge pour ceux-ci de préserver leurs recours.
Une fois les responsabilités consacrées, il faut ensuite une contribution à un même dommage.
En matière de responsabilité décennale, pour des travaux de reprise, la Cour de cassation a déjà énoncé que les travaux doit avoir indissociablement concouru, avec ceux ressortissant des autres lots à la création de l’entier dommage (C.Cass., Civ. 3ème, 23 septembre 2009, n°07-21634).
Il est cependant indispensable d’identifier précisément les préjudices en lien, ce que l’arrêt de la 3ème Chambre civile du 30 Avril 2025 vient utilement rappeler.
Déjà, pour des travaux déconstructions importantes d’éléments de structure de la maison, la Cour de cassation avait pu censurer une Cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un constructeur, in solidum avec d’autres, sans avoir expliquer en quoi ce manquement avait pu contribuer à l’ensemble des dommages dont étaient responsables les autres constructeurs (C.Cass., Civ. 3ème, 15 Février 2024, n°22-18672).
Dans l’arrêt du 30 Avril 2025, il s’agit cette fois de préjudices de jouissance et moraux.
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
- et Mme [V] ont confié à M. [G] des missions de maîtrise d’œuvre de la construction d’une maison individuelle.
- Les lots terrassement et maçonnerie ont été confiés à la société SMP, assurée auprès de la société Aréas dommages.
- Les maîtres de l’ouvrage ont assigné les locateurs d’ouvrage et l’assureur en indemnisation des préjudices résultant de divers désordres.
Par un arrêt en date du 29 Novembre 2022, la Cour d’appel de REIMS a notamment condamné M. [G], in solidum avec la société SMP, à payer à M. et Mme [V]
- une certaine somme en réparation de leurs préjudices de jouissance du sous-sol et du jardin, arrêtés au 4 octobre 2022,
- une indemnité mensuelle en réparation au titre de leur préjudice de jouissance du sous-sol à compter du 5 octobre 2022 et jusqu’à l’achèvement des travaux de cuvelage et de réparation du défaut ponctuel d’étanchéité dans un angle,
- une certaine somme au titre du préjudice moral
et l’a condamné à garantir la société SMP à hauteur de 80 % au titre des préjudices de jouissance et du préjudice moral.
Monsieur [P] a formé un pourvoi, critiquant cette condamnation in solidum pour ces postes de préjudices.
Le moyen est accueilli par la Cour de cassation qui énonce, sous le visa de l’article 1231-1 du Code civil (soit la responsabilité contractuelle), qu’il en « résulte que les différents intervenants à l’acte de construire ne peuvent être condamnés in solidum à réparer le préjudice du maître de l’ouvrage que si, par leurs fautes respectives, ils ont contribué de manière indissociable à la survenance d’un même dommage » avant de retenir que
- pour condamner in solidum les constructeurs à réparer les préjudices immatériels des maîtres de l’ouvrage, l’arrêt retient qu’ils sont responsables in solidum des désordres ayant causé les préjudices de jouissance.
- en se déterminant ainsi, après avoir retenu que la société SMP était seule responsable de certains désordres dans le sous-sol et sans caractériser en quoi les manquements respectifs des constructeurs étaient à l’origine de préjudices de jouissance et moraux indissociables, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Dès lors, il est important de distinguer parmi les désordres dénoncés ceux susceptibles d’engendrer ou non des préjudices consécutifs.
Prudence cependant pour le maître d’ouvrage car hors responsabilité décennale, des clauses d’exclusion de garantie in solidum peuvent s’appliquer
- est valable une clause excluant la prise en charge des dommages imputables aux autres participants à l’acte de construire (Cass., Civ. 3ème, 19 Mars 2013, pourvoi n° 11-25266).
- Pour une clause d’exclusion de solidarité pour une obligation in solidum ( Cass., 8 Février 2018, pourvoi n° 17-13596)
- Pour une clause d’exclusion de solidarité du contrat d’architecte aux condamnations in solidum nonobstant son imprécision (Cass., Civ. 2ème, 14 Février 2019, pourvoi n° 17-26403)
Par contre, une clause d’exclusion de solidarité ne peut trouver à s’appliquer en matière d’assurance obligatoire, c’est-à-dire en cas de condamnation sur le fondement décennal (C. Cass., Civ. 3ème, 18 Juin 1980, pourvoi n°78-16096).
Si un constructeur est condamné au titre d’une obligation in solidum (obligation à la dette), il doit défendre ses recours dans le cadre de la contribution à la dette.
Entre constructeurs, la Cour de cassation a précisé que
- Les recours en garantie entre constructeurs ne peuvent être fondés sur la garantie décennale, mais sont de de nature contractuelle si les constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s’ils ne le sont pas (, Civ. 3ème, 8 février 2012, pourvoi n° 11-11417)
- « le recours entre constructeurs non contractuellement liés ne peut avoir qu’un fondement quasi-délictuel et que, co-auteurs obligés solidairement à la réparation d’un même dommage, ces constructeurs sont tenus entre eux, chacun pour sa part déterminée en proportion du degré de gravité des fautes respectives » (Cass., Civ. 3ème, 20 septembre 2011, n°10-21015)
- « en cas de faute, la part contributive de chacun des coauteurs s’apprécie exclusivement en fonction de la gravité des fautes commises » (Cass., Civ 2ème, Chambre civile 2, 13 janvier 2011, n°09-71196)
Sauf stipulations contractuelles entre eux, un co-débiteur in solidum ne peut agir contre un autre que pour la seule quote-part de responsabilité incombant à ce dernier (C.Cass., Civ. 2ème, 2, 20 juin 2002, n°00-20996).